dimanche 22 août 2010

Sixième entrée, du 14 aout au 21 aout 2010






Peut-être que ce n'est que quand la routine s'installe que l'on commence à s'intégrer. Quand ces lieux que l'on découvrait il y a peu deviennent autant d'images qui, jour après jour, façonnent un chemin devenu familier. C'est la grande différence entre le voyage itinérant et l'installation à moyen terme. C'est aussi, je pense, la seule façon d'appréhender un pays, sa mentalité, ses mœurs, son histoire. Je vous ai déjà dis avoir du mal à comprendre l'Argentine. En fait, si ses paradoxes m'apparaissent irrésolvables, c'est que je ne peux que la voir de mes yeux européens. L'Argentine à sans doute sa propre logique, indépendamment de celle de l'Europe, et qu'elle ne peut se comprendre par la seule application du schéma paradigmatique européen. L'Argentine n'est donc pas la France d'il y a cinquante ans. Je ne suis pas devant un miroir reflétant la France passée. Elle a sa propre histoire, et trace son propre chemin.
C'est toute la difficulté de l'étranger, et du travail de décentrement nécessaire pour connaître le pays ou il s'installe, pour un mois, ou pour la vie.
L'histoire argentine, que je ne connait que très peu, me paraît particulièrement sinueuses. Périodes de crises et de croissances se succèdent. Hier, à l'université, nous devions en groupe travailler sur un texte anthropologique. Ce fut l'occasion d'engager la discussion avec un argentin d'une bonne trentaine d'années. Je lui demande ce qu'il fait dans la vie, en dehors de ses études. Il travaille dans le social, en soutenant des enfants défavorisés et en difficultés. C'est fréquent. Ici, il a un nombre impressionnant de "travailleurs sociaux". Chaque faculté possède son cursus de "Trabajo Social", formant à de tels métiers. Lui faisant part de cette remarque, il m'explique alors que l'Argentine, après la crise économique de 2001, véritable traumatisme collectif, a su prendre ses responsabilités, et a développé un système vigoureux de soutien aux populations démunies. La réglementation évolue aussi, comme l'illustre les lois de protection des mineurs (limitation de peines de prison aux mineurs,...). L'Argentine avance. Mais ici encore, le tableau est mitigé. La violence, qui me semble lointaine, fait parler d'elle. Ici, de nombreuses personnes déconseillent fortement de rentrer tard le soir, et surtout pas seul. J'ai appris qu'un Français, dans une des rues du centre-ville, a été détroussé. Deux personnes l'ont menacé, une d'elle avait un bâton en bois, l'autre un Révolver. Dans ces cas là, on ne cherche pas d'histoire. Quel soit omniprésente ou non, cette violence est devenue un terrain d'opposition politique. La droite dénonce une situation dangereuse, en constante détérioration, la gauche, elle, dénonce une paranoïa excessive. Vous l'aurez compris, les débats, de chaque coté de l'Atlantique, sont les mêmes. Enfin presque. Ici, la mode de l'écologie n'est pas aussi pregnante qu'en France. On laisse toujours la lumière allumée; on chauffe la petite cuisine, ou l'on est presque jamais, en maintenant allumées les plaques fonctionnant au gaz; dans les super et hypermarchés, on distribue toujours gratuitement des sacs plastiques. C'est que ici, l'énergie est bon marché. Une amie me racontait qu'après avoir fait remarquer à son propriétaire que la lumière de la cours restait constamment allumée, celui-ci avait répondu que ce n'était pas grave, puisque l'électricité n'est pas chère... Ce n'est que les gens se moque du réchauffement et des questions de développement durable, mais les réflexes "citoyens" ne sont pas encore largement implantés. Il est toujours difficile de promouvoir l'écologie sans faire miroiter des économies. En France, on pensait que la mode des 4*4 était passée, et qu'enfin les automobilistes prenaient conscience de leurs responsabilités environnementales. Mais quand le prix de l'essence a diminué, les ventes de 4*4 ont fait l'inverse. Autre exemple: à l'université, les tonnes de photocopies à faire chaque semaine n'étonnent personne.

L'université... Parlons-en d'ailleurs, maintenant qu'elle fait partie de mon quotidien. Pour le moment, j'ai quatre cours par semaine (plus que la moyenne des locaux, et des autres étrangers présents, mais bon...). Ici, on travaille sur des textes, nombreux, à lire pour chaque séance, et donnant lieu à une interrogation écrite à faire en groupe. A cela s'ajoute deux contrôles dans le semestre, et des examens en fin de période. Il faut lire et ficher. Promis, j'y penserai. Je suis donc les cours d'"Ideas politicas de America Latina", d'"Antropologia social y cultural", de "Communicacion cinematografica" (excellent cours), et, je pense, d'"historia de Argentina" (je n'ai pas encore choisi mon dernier cours). Les modalités de contrôle me restent souvent un peu mystérieuses, et je ne comprends vraiment pas tout. Mais bon, il parait que ça fait aussi partie du jeu. Alors, ne soyons pas mauvais joueurs. Comme en France, les informations circulent mal, quand elles ne sont pas contradictoires... Mais comme j'ai trois jours de weekend, cela me laisse le temps pour préparer mes excursions, voir mon voyage à venir au Chili, Pérou et Bolivie.

La première excursion fut d'ailleurs assez rocambolesque. Nous devions partir pour visiter une ville à deux heures de routes, mais nos informations sur les bus s'étant révélées fausses, nous avons du, au dernier moment, improviser une visite au hasard des horaires des "colectivos", comme on dit ici. Nous voilà à Puntugato. Putungato, c'est une petite ville de la banlieue de Mendoza, plus modeste. Ici, chose marquante, la population est bien moins "européenne". Le faciès Indien est bien plus présent. Il semble donc exister une certaine ségrégation silencieuse, même si l'expérience me manque encore pour l'affirmer. Nous devions visiter un volcan, culminant à tout de même plus de 6000 mètres. Sauf que ce dernier était à trente kilomètres de la ville, que le bus pour le gagner était déjà parti, et qu'il n'y avait strictement rien à faire. Nous sommes donc partis marcher dans les hautes collines qui annoncent les Andes. Pour y aller, une seule solution: Les remis. En gros, se sont des particuliers qui font le même travail que les taxis, mais de façons complétement indépendante, tout en étant sous licence. Une alternative donc. Déjà, il y a quelques jours, nous avions emprunté, pour suivre une soirée dans un bar, des taxis "illégaux", sans licence. Chose à ne pas faire, vous vous en doutez. Mais à 20 dans 5 voitures, j'imaginais mal la scène de l'enlèvement, et puis les prix étaient les mêmes. En Argentine, les transports en commun, c'est souvent l'occasion de faire du sport. Dans les bus, dont les chauffeurs doivent sans doute tous être des pilotes de formule 1 à la retraite, il faut largement anticiper la descente, tout en évitant de tomber dans les virages souvent pris de manière quelque peu brouillonne, parce que le chauffeur n'attend pas. Sinon, soit on rate son arrêt, soit on saute en marche, comme j'en ai fais l'expérience en arrivant à la fac. Ce fut une sublime cascade, avec une réception néanmoins un peu ratée... Les taxis, eux, ne sont pas en reste. En Argentine, il n'y a pas de ceinture de sécurité. En fait si, mais pas l'embout qui va avec. Personne ne l'utilise donc. La police s'en moque, autant que voir 8 personnes dans une voiture.
Bref, nous voilà à attendre un de ces fameux remis. Un arrive enfin. Une voiture rouge, vielle, cabossée. En gros, toute pourrie. Nous sommes six à l'arrêt de bus. Nous quatre, et deux locaux, dont un enfant d'environ 8 ans. Les deux premiers s'installent. L'enfant s'assoit devant, à coté du chauffeur. Ce dernier se tourne vers nous, et demande notre destination. Nous répondons. Il se retourne et semble faire un calcul dans sa tête. Six, c'est trop pour caser tout le monde, mais en même temps, ça ferait une belle économie d'essence! Il ouvre sans un mot le minuscule coffre de son tas de ferraille, puis la porte passager avant, derrière laquelle se trouve l'enfant dont son visage se décompose. Merde, il va foutre l'enfant dans le coffre pour faire rentrer tout monde! Nous intervenons pour dire que nous attendrons son retour. "Vous êtes sur?" "Oui, oui". L'enfant est sauvé. Il nous reste tout de même ce souvenir assez dingue, scène pittoresque qui, excusez moi, m'a bien fait rire. Le remi reviendra pour nous déposer dans un camping, donnant sur notre lieu de ballade. Notre grand ami reviendra nous chercher deux heures plus tard, pour retourner au terminal d'auto-bus après deux pannes de moteur.
Sinon, le climat devient franchement agréable. Nous sommes toujours en hiver, mais on se promène en T-shirt la journée. Au soleil, ça tape vraiment, même si le soir, on remet les pulls. On ne m'a pas menti, les différences de températures sont impressionnantes, que se soit entre le jour et la nuit, ou même entre quelques semaines d'intervalles. Il y a deux semaines, il neigeait encore, même si ça ne prenait pas sur la ville... La neige, elle reste toujours lointaine. On la voit au loin, sur les hauteurs des Andes. J'ai eu l'occasion d'en toucher à Putungato, mais c'est tout. Pourtant, c'est le poumon de la région. Sans elle, pas de vigne, et pas de vin! La région est désertique, et c'est elle qui après la fonte, permet d'irriguer la terre. A Mendoza il y a, entre la route et le trottoir, des espèces de fossés à ciel ouvert dans lesquels on manque souvent de se casser la gueule. En fait, ils ne sont pas là pour piéger le touriste saoul, mais pour permettre l'évacuation de l'eau venue des Andes.
Mais passons au plus important, bien sur, mon anniversaire! Tout de même! J'en garderais, c'est certain, un excellent souvenir. D'abord parce qu'il restera teinté d'un brin d'exotisme, mais surtout parce qu'il a été chaleureusement fêté. Après m'être levé, je tombe sur Fernando. Il me sert fort, me fait la bise, et me demande de fermer les yeux. Méfiant, j'obéis. En les rouvrant, ce dernier me tend un petit bocal en verre renfermant de l'herbe. Pourquoi m'offrir du Maté alors qu'il y en plein dans la cuisine, et que chacun peut se servir librement? Je ne comprend pas trop. Au bout d'un moment, je me dit "Il ne m'a tout de même pas offert un bocal de Marijuana?". Je voyais mal un mec de 44 ans m'offrir ça, après deux semaines de "vie commune". Mais c'est vrai qu'une des toutes premières questions qu'il nous avait posé était de savoir si nous consommions de la Marijuana. Étrange. Il nous avait ensuite expliqué être effaré de voir combien les Français fumait. "Tous, ils fument tous". Il n'a pas vraiment tord d'ailleurs. Les sondages sont clairs, en France, les jeunes consomment beaucoup de cannabis. Les argentins considèrent les européens comme de grands consommateurs. Ici, la consommation est différente. Pas de grande feuilles, on ne roule que dans des petites. Ce que tout les français disent, c'est que le produit est par ailleurs beaucoup moins fort. On y recherche peut-être plus le gout qu'autre chose, mais c'est surtout qu'il pousse naturellement, sans engrais, sans lumière artificielle. La dose de THC, responsable des effets du produit, est bien moins élevée. Mais revenons à notre bocal. Finalement, Pauline demande ce que c'est. "De la Marijuana." Ah si! En la sentant, elle dégageait une odeur très agréable, mais ne semblait pas forte, effectivement. L'effet procuré est d'ailleurs quasi-nul. La preuve: ici, on ne la coupe pas avec du tabac, mais elle se fume pure. Les Argentins semblent être nombreux à la fumer. Ils en parlent beaucoup, demandent si nous avons les mêmes produits en France, les mêmes méthodes, ect... Mais ils consomment peu, ou de manière très occasionnelle. Bien sur, c'est une remarque générale, cela dépend aussi des habitudes des chaque groupe. Fernando, par exemple, qui en a en permanence dans sa chambre, ne fume presque jamais. Mais ici, le cannabis, et toutes les drogues en général, sont un grand sujet de conversation. Je n'ai pas eu une seule soirée sans entendre un argentin se lancer sur le sujet. Mais on en parle bien plus qu'on en consomme. En soirée, je ne vois presque jamais de cannabis.
Le soir, des amis sont venus manger des Empanadas à l'appartement. Des empanadas, ce sont des espèce de chaussons fourrés à la viande, au fromage, au jambon, aux épinards... Les Samosas d'ici, si vous voulez. J'ai eu le droit à un gateau d'anniversaire... et même à des cadeaux surprises! Un chapeau de gaucho (les cowboys Argentins, en gros), un porte monnaie en cuir, et deux autres cadeaux plus délirants (que je ne décrirais pas ici, j'espère avoir un minimum de vie sociale en rentrant en France). C'est une chose tout de même très forte, que de voir des gens, que l'on ne connait finalement que peu, organiser tout ça. C'est aussi la force de cette année, les rencontres et les découvertes. Le soir, nous sommes allés à un concert de Ska, près d'une gare désaffectée, ou je n'ai, cerise sur le gâteau, rien eu à payer! Fini le strass des bar branchés du centre-ville. Ici, le style dominant est bien plus "roots". La fin de soirée fut comme la journée entière: géniale.

Aujourd'hui, ce fut la fameuse journée foot... Sans commentaire. Ici le football, comme je vous l'ai dit, c'est une religion. On croise souvent des portraits de Maradona tagués sur les murs, et les gens d'ici se déchainent, dans des débats passionnés, sur sa personne. Bref, nous avons rendez vous avec des argentins pour un match France/Argentine, en 5 contre 5. Mais impossible d'avoir 5 Français... Nous n'étions que deux. Le copain de Pauline, Nicolas, et moi. Tant pis. Ce match sera "mixte". Nous nous y rendons en Pickup, nous derrière, à l'air libre, contents comme des gamins de pouvoir parcourir la ville sous le soleil, de rebondir sur les dos d'ânes, et de sentir le vent dans les cheveux. Le match en lui même a durée une petite heure, sans pause, ce qui constitue une torture pour ma carrure de brin d'herbe. Je me suis tout de même illustré en faisant une passe décisive... pour un but adverse! Mais que voulez vous? Ne pas jouer au foot en Argentine, c'est venir en France sans bouffer de camembert. Et encore. Après un verre de soda tous ensemble, nous sommes aller chez d'autres filles du groupe, pour boire le Maté. De retour à l'arrière du Pickup, nettement plus serré, pour nous y rendre. L'occasion aussi pour moi d'en apprendre un peu plus sur le rituel du Maté, à savoir qu'il ne faut pas dire "Merci" quand quelqu'un nous le tend, cela signifiant un refus. Ce soir, nous devons retourner dans cette maison pour un second rite argentin. Après le foot, le Barbecue, bien sur!
Soleil, foot, chaleur, pickup, barbecue... C'est les vacances ou quoi?
Disons que c'est aussi le positif de cette expérience. Il reste que la France me manque, enfin, que les gens peuplant la France me manquent (enfin, pas tous hein!). Il reste qu'il me faut encore trouver un stage, au pays ou ici (mais plutôt au pays, pour les revoir, ces fameux gens!), et que ça me stresse de plus en plus. Il reste qu'il faudrait aussi se mettre au boulot. Il reste que je crains toujours de ne pas réussir à pleinement tirer l'essence de cette année, que les doutes restent coriaces, que la nostalgie perdure, et que j'ai peur de voir le soufflé retomber. Il reste aussi que Fernando s'en va en septembre, et que mine de rien, ça me fais mal au cœur. Nous nous étions attachés à cet homme de quarante ans, un peu étrange, solitaire, paternel, passionnant, humain, peu compréhensible, et immensément cultivé. Ce départ, le premier avant tout ceux qui viendront en Novembre (en gros, seuls les Français de mon école restent un an), me touche vraiment. C'est aussi ça les rencontres: elles finissent toujours par un départ.

Les photos, en vrac:

-Immeuble de l'appartement
-Faculté (le bloc de béton)
-Rues de Mendoza
-Banlieue
...