mercredi 29 septembre 2010

Photos, fin


Photos, suite 2




Photos, suite





Neuvième entrée, du 16 au 29 septembre






Des vêtements pour une dizaine de jours jetés en vrac, mon duvet par-dessus qui refuse de rentrer dans sa housse et que je tasse pèle mêle sur le tas de linge. J'écrase le tout du pied, et je ferme avec violence mon grand sac à dos. Je prends mes 1000 pesos, à changer à la douane, et surtout, je n'oublie pas mon passeport. Et puis mon appareil photo aussi, même si j'ignore qu'il ne restera plus que quelques heures en ma possession. Je suis fin prêt pour sauter dans un bus et filer de l'autre coté des Andes pour enfin sentir l'air chilien.
Ces jours s'annoncent passionnant, à bien des égards. Le Chili, ce voisin dont j'ai tant entendu parler, je vais enfin pouvoir l'observer de mes propres yeux! Il y a deux cents ans, il quittait l'autorité espagnole. Ces jours, on y fêtera l'indépendance. Je suis curieux de voir ça. La fête de l'indépendance Argentine eut lieu avant mon arrivé, et ce fut semble t-il un évènement unique. Il en sera de même au Chili. Moi qui suis né l'année du bicentenaire de la République Française, j'assiste à l'aube de ma seconde décennie aux fêtes de l'indépendance de l'Amérique latine. J'essaye d'y voir un signe, mais je n'y parviens pas tellement. En revanche, je réalise bien ma chance de voir les "fiestas patrias" chiliennes à Valparaiso. Valparaiso, c'est un peu un mythe pour les étrangers en échange ici. C'est sans toute le lieu le plus proche de Mendoza que l'on doit voir absolument. D'ailleurs, la quasi totalité des étrangers partent cette semaine. La faculté marche au ralenti, les locaux ont des examens de rattrapages, le mercredi est férié, et pour le reste de la semaine, tant pis. Ce n'est qu'une journée de manqué au final, et puis cette année n'est pas celle de la présence assidue à l'université, qui s'en cacherait?
Me voilà donc avec deux compatriotes Français, Pauline et Irina, à l'assaut des Andes. La route qui s'y fraye un chemin est une merveille. On y traverse les montagnes, arides. Le panorama est incroyable, le dépaysement total. Sur le bord de la route, une vieille voie ferrée abandonnée, des cars rouillés et sans roue. Nous sommes dans un des lieux les plus majestueux de la planète. La petite télévision diffuse "Taken", l'histoire d'un papa "État-Unien" (dire américain ici n'aurait pas de sens) qui trucide trois milles méchants dans les bas-fonds de Paris pour sauver sa pauvre fille enlevée par la mafia locale pour en faire une pute. Passionnant.

Bien sur, nous ne sommes pas les seuls à vouloir gagner le Chili pour les fêtes. Nous arrivons à la douane. Devant nous, plusieurs cars patientent. Nous attendons deux heures avant d'enfin pouvoir atteindre les infrastructures, à raison de 3 mètres chaque demi-heure. Derrière moi, un bébé tantôt gazouillant, tantôt pleurant. Je me retiens de lui arracher la tête. Il reste en moi quelques bribes d'humanité. Il faut dire que des bébés, ici, il y en a! Les femmes sont souvent enceintes bien plus tôt qu'en France. Il n'est pas rare de voir des filles de 16 ans porter un bébé. Et même plus tôt parfois. Dans mon université, une crèche est disponible pour les étudiantes/jeunes mères. L'administration est en phase avec sa société. En France, être maman en Master d'histoire, c'est souvent devoir quitter la faculté. Je ne le souhaite à aucune des Argentines, à condition qu'elles droguent leurs gamins avant de les faire monter dans les bus. La frontière est au-dessus des 3000 mètres, altitude ou peut commencer le mal des montagnes. Des panneaux nous préviennent: Veillez à ne pas faire d'effort, à ne pas boire de boisson gazeuse, si vous avez mal à la tête ou êtes sujet à des vomissements, reposez vous. Dans ce hangar un peu délabré, j'ai l'impression d'être un Afghan tentant de quitter son pays, et le décor s'y prête. Deux ou trois formulaires, un tampon et deux heures de queues dans le froid participent à me faire apprécier encore plus l'espace Schengen. Puis on entre dans une salle, tous en ligne. On pose nos sacs sur une petite table. Un chien passe et renifle. Nous sommes du bétail. Nous repartons avec 4 heures de retard sur l'horaire prévu, sans portable pour prévenir nos hôtes. Je sens venir la galère.
Nous voilà du coté Chilien, à rouler prêt d'une station de ski. Le Chili défile. Il est bien plus vert que mon aride région de Cuyo. Quelque temps plus tard, Enfin Valparaiso! Je retrouve un ami, Tudy, qui y étudie aussi. Et de rien pour cette magnifique allitération bancale...
Je vais rester quelques jours en sa compagnie. Également auteur d'un blog, je vous transmets encore l'adresse de ses témoignages, histoire d'éviter les doublons inévitables de l'exercice, puisqu'il vient d'écrire sur les fiestas patrias: http://un-frances-a-valparaiso.blogspot.com/2010/09/que-ma-nation-perisse-pourvu-que.html?spref=fb .

Il vit dans une belle colocation chilienne, juste en face de son compatriote Simon. La rue est très étroite, et sépare les deux logements de quelques mètres. Pour communiquer entre eux, il suffit de sortir la tête et de crier pour inviter l'autre à montrer son visage. Cette image, dans cette rue typique, sous un soleil souvent radieux m'apparut immédiatement comme très pittoresque et sympathique.
Valparaiso est magnifique. Son contact furtif restera dans ma mémoire. Des collines verdoyantes sur lesquelles s'entassent des baraques bleues, rouges, jaunes, vertes, oranges, violettes... Un festival surplombant une mer azur, et le tout baigné de soleil. C'est une véritable œuvre impressionniste, ou chaque maison est un touché de pinceau. Un joyeux bordel sans logique d'organisation. Quand la vue se dégage, le tableau prend tout son sens. La ville bouillonne. Partout, des petits cafés aux murs tapissés d'affiches, de dessins faits au marqueur. Des artistes un peu bohèmes vendent leurs travaux aux touristes, très nombreux ici. Les tags ont envahi l'espace urbain, et se marient avec une force étonnante aux explosions de couleurs des maisons aux tons toujours uniques. Ma première visite, le lendemain matin de mon arrivée est délicieuse. Je m'étonne à chaque pas, je ne sais plus que regarder. La tête m'en tourne. Je marche sur le soleil, et la mer s'étend dans le ciel. Les couleurs grouillent de toutes parts, et j'ai beau fermer les yeux, elles persistent à m'envahir. Impossible de lutter. Je ne peux que me laisser porter dans cette douce marré aux écumes de mille teintes. Valparaiso, signifie en français la vallée du paradis. Concentré des images d'Épinal de l'Amérique latine, je sais qu'elle ne s'y résume pas. Sa richesse est infinie, parfois belle, parfois moins. La pauvreté persiste sur les hauteurs, ou les maisons sont plus sales, ou la tôle est plus présente, et ou on nous dis parfois de passer par un autre endroit, car les lieux ne sont pas sûrs. Nous avons souvent entendu cela. Mais même ces barrios ont pour l'européen aisé le charme de la pauvreté, que l'on aime parce qu'on ne la vie pas, que l'on regarde avec la curiosité parfois gênée de l'exotisme pittoresque. Les enfants jouent avec des cerfs-volants confectionnés en papier, les chiens dorment paisiblement sur les trottoirs, les jeans sont vieux et sales. Les idées bien pensantes viennent soulager ce dilemme. On ne vient pas au zoo, on vient découvrir une réalité autre, avec nos pesos en poche et nos appareils photo. Il ne s'agit pas de se culpabiliser, ni de s'étonner avec l'hypocrisie correcte et démagogique des inégalités qui nous bercent du bon coté. Mais on ne peut ignorer aussi les difficultés de voir en l'autre, celui qu'on ne perçoit d'abord que par ses différences, une personne totalement égale à soi même, avec les mêmes ambitions et les mêmes préoccupations. Cet obstacle au voyageur, universel, est à surmonter. Pour se faire, passer sous silence cette vérité de sert à rien. L'assumer sans l'exagérer est la seule solution. En prendre acte sans jamais voir en l'autre un opposé. Voir en l'autre un autre moi qui n'est pas moi-même. Ne pas tomber dans les extrêmes qui seraient soit de nier ce qui s'impose et se croire exactement comme "eux", se qui serait indécent; soit de dire que la différence est si grande que notre présence ici n'est pas légitime, ce qui serait inhumain (et dramatique économiquement, disons-le). Oui, l'insécurité, toujours relative, est présente ici. En parlant ici et là, je remarque que tout les étrangers, que ce soit à Valparaiso ou à Santiago, ont eu des problèmes. Vols de portables, de cartes de crédits, de portefeuilles... Et pour moi, mon appareil photos! Je l'ai cherché tout le séjour, et en rentrant, je ne l'ai pas retrouvé. Je me suis souvenu l'avoir mis dans une poche fermée de mon sac à dos. Le seul problème, c'est qu'en arrivant chez Tudy, déjà, je ne le trouvais pas. Le seul moment ou il a donc été possiblement volé, c'est lors ce que les douaniers ont fouillé les sacs à l'égard des regards à la frontière... En revanche, les violences purement physiques, elles, restent rares. Elles existent, mais en grande minorité.
Revenons à mon arrivée à Valparaiso. Le soir même, nous allons contempler l'impressionnant feu d'artifice embrasant la baie. Vous retrouverez ce récit sur le blog de mon hôte, mais je ne peux, cette fois, passer sous silence une réflexion que Tudy et moi nous sommes faites au même moment (si c'est pas beau...). Les jeunes riaient, chantaient, et criaient VIVA CHILE! Ce nationalisme nous a impressionné (pour bien comprendre la chose, sa vigueur, je vous réinvite à lire le blog donné plus haut). Loin de la France et de son étrange et complexe désintérêt pour la nation, le Chili connaît un fort nationalisme. La jeunesse est fière de son pays. Elle se berce d'un orgueil que le 14 juillet ne reflète plus depuis longtemps. J'étais à cette occasion à l'Isle Adam, petite ville bourgeoise de région parisienne. Le feu d'artifice au bord d'un étang, sur des musiques de Michael Jackson, thème indéniablement lié à l'histoire de notre pays. Je n'ai entendu personne chanter la Marseillaise. Le nationalisme existe en France, bien sur. Trop souvent comme un repli identitaire. Mais la France ne fait plus rêver. Les guerres Napoléoniennes n'auraient techniquement jamais pu être remportées. Tout les historiens s'y accordent, l'armée Française, essoufflée par une révolution chaotique et une instabilité chronique, était bien moins nombreuses et équipée que les puissances alliées. Et pourtant, dans un premier temps, les victoires se sont enchaînés. C'est que l'amour d'une nation reposant sur des principes nouveaux avait surmonté la loi du nombre. Les soldats se battaient pour un idéal, ceux d'en face pour un devoir de métier. Puis l'idéal s'est perverti. Des soldats ont commencé à violer les femmes et à voler les richesses personnelles. En Espagne, l'attractivité de la république s'est crue naturellement supérieure, rendant la résistance de fait illégitime, et donc à mater. On connaît la suite. La force de l'identité est une inconnue dans un conflit qui a toujours été sous estimée. En Irak, l'OTAN en fait les frais.
La France ne fait plus rêver. Elle ne se définit plus comme un idéal à partager mais à protéger. On aime plus la France pour ce qu'elle a d'universelle, mais pour ce qu'elle de particulier. Elle se définie de manière négative, par rapport à l'autre, qui de fait n'est plus partie prenante de cette identité. Expulser devient donc le ciment d'une identité en perte de repère. On en connaît que trop bien les dérives. Mais rassurez vous, sur l'affaire des Roms, Berlusconi, grand apôtre de l'État de Droit nous soutient. Mon romantisme gamin, idéaliste et naïf me pousse a y voir l'occasion de jouir d'une nouvelle identité, bien différente de celle que l'on tente de construire, malgré des incohérences de plus en plus terribles. Si l'idéal Français est en voie de déliquescence, pourquoi ne pas y voir l'opportunité de construire et consolider l'idéal européen? Pourquoi ne pas rêver à un projet collectif fort prenant appui sur l'idée d'une nouvelle cohésion? Pourquoi l'Europe ne serait-elle pas l'avenir de la France? Le travail est, je sais, difficile et de très longue haleine. On ne construit pas une nation en une, deux, ou même trois générations. Mais je retiens que sur mon passeport, au-dessus de "République Française", je peux lire "Union Européenne". Sans doute suis-je en train de construire une certitude nationale à la seule vue de mes aspirations. C'est ce que l'on appelle en épistémologie, et pour faire chic, le constructivisme : Analyser et construire le réel selon l'expérience que l'on en a.
En parlant de constructivisme, ce voyage fut aussi l'occasion de mettre à mal ma passion pour l'idéal de la panamericana (c'est mon petit coté Che Guevara, que voulez vous...). De manière générale, j'ai de plus en plus l'impression que la compétition entre les différents pays d'Amérique Latine est un trait notable des mentalités. Un ami Argentin ne cesse de décrier les chiliens. Au Chili, j'ai entendu de nombreux discours très fortement chauvins. Le Chili est la première puissance du sous-continent, tant en termes économiques que militaires (même si c'est bien plus difficile à mesurer), et hormis le Brésil, qui conserve une place particulière et centrale. Durant la guerre des Malouines, qui a opposé l'Argentine au Royaume-Unis entre le mois d'avril et Juin 1982, l'Argentine était seule. Le Pérou fut quasiment le seul pays à la soutenir. Le Chili, lui, aidait ouvertement l'Angleterre, en autorisant l'armée à stationner sur ses terres. Tout les Argentins ne l'ont pas oublié. Depuis quelques semaines, je me rends compte à quel point l'utopie est loin. Le projet reste cher à quelques rêveurs. Pour les autres, le Mercosur suffit. C'est que dans la faculté, ses rêveurs sont nombreux. Des rencontres universitaires sont régulièrement organisées entre les différents pays. Et comme les groupuscules marxistes y sont nombreux, l'idée est souvent évoquée. En dehors des murs de l'université, en revanche, la question n'intéresse pas. Mon obsession à voir ce que je veux trouver m'a joué un tour. Néanmoins, personne ne pourrait nier que les liens linguistiques favorisent aussi l'existence, au demeurant indiscutable, d'une identité commune. Les Argentins voyagent beaucoup, relativement au milieu de vie moyen. Beaucoup on vu le Chili ou l'Uruguay. On reste attentif à ce qu'il se passe chez les voisins. Ici encore, l'Amérique Latine brille par sa complexité. D'une part, les suds-américains partagent une histoire commune. Celle de la décolonisation, qui a enfanté des États actuels. Celle des dictatures, de la guerre froide, du rêve passé du Che, cet Argentin de Rosario, pièce maîtresse de la révolution cubaine. Mais les tensions sont fortes. Guerre du pacifique, concurrence entre un Brésil en grande émergence, membre des BRIC, et l'Argentine qui tente de suivre le rythme sans vraiment y parvenir... Le Che, revenons y, rêvait d'allumer plusieurs Vietnam sur le territoire sud américain. L'échec fut cuisant, peut être justement parce que le terreau idéologique auquel il croyait n'existait pas. Et Valparaiso dans tout ça? Tudy m'expliquait que le port fut central dans l'expansion économique du pays. Mais avec l'ouverture du canal de Panama en 1914, qui relie le pacifique à l'Atlantique, Valparaiso s'est effondré. Il n'était plus stratégique. Depuis, la ville survit grâce au tourisme. Mais Valparaiso reste un lieu majeur de l'histoire chilienne. C'est ici qu'en 1973 a commencé le coup d'État. Depuis, Allende est omniprésent dans la ville, notamment grâce aux nombreux tags à son effigie. Il reste bien sur son rayonnement culturel exceptionnel. Le mythe hippie y existe encore. Tudy m'a raconté qu'un Français c'est retrouvé en arrivant dans une maison de poètes, ou tout était mis en commun, et ou la porte restait toujours ouverte. La maison bleue de Maxime le Forestier en Amérique latine quoi. Il y a dans cette ville une ambiance très plaisante, l'odeur d'un temps révolu, que certains doux nostalgiques se plaisent à faire perdurer. Bien sur, Valparaiso est aussi la ville de Pablo Neruda. J'ai l'occasion de visiter ce qui fut sa maison. Une magnifique vue. Tout y est propre. Tout y est bien rangé. La vaisselle est sur la table du salon. Qui croirait à une telle mise en scène? Ce genre de visite résonne le faux. Pablo Neruda est mort en laissant sa maison exactement comme elle est aujourd'hui, je n'en doute pas. Souvent, les "lieux de vies" sont de vastes attrapes touristes. On s'y ballade avec des écouteurs nous racontant tout un tas de choses sans importance, et on s'en va en ayant oublié que Neruda, c'était surtout un poète. Mieux vos acheter un de ses bouquins pour le feuilleter sur l'un des Cerros de la ville, à l'ombre d'un arbre ou sur les marches ensoleillés d'une petite église. C'est moins cher, plus intéressant, et plus plaisant. A Mendoza, en rentrant, un Allemand me dit qu'il a quitté Valparaiso sans avoir lu de sa vie un seul de ses vers. Vous imaginez-vous visiter la maison de Van Gogh sans avoir la moindre image en tête d'un seul de ses tableaux?

Le lendemain, nous prenons le bus pour deux heures de routes. Direction Horcon, un petit village de pêcheurs à deux heures de Valparaiso. Un lieu charmant. Des petites plages cachées derrières des communautés hippies vivant un peu hors du monde, un port aux petites baraques vendant de quoi grignoter. Et bien sur, le soleil et la mer! Le pacifique nous fait un bien fou, lui qui est si loin de Mendoza!
Un autre jour, nous nous rendons dans une espèce de vaste Kermesse. On y fête bien sûr le bicentenaire. Tir à la cible, chamboule tout... au milieu des drapeaux chiliens flottant. Je ne résiste pas à l'envie de faire un tour de manège. D'abord, je grimpe avec Pauline sur un espèce de bras mécanique qui fait tourner une nacelle dans les airs. Ca craque de partout. En observant le moteur, je remarque un bac dans lequel se déverse un liquide blanc étrange. Il manque des ampoules sur les nacelles. Les forains ne remplissent l'attraction qu'aux trois quarts, alors que la queue s'étend. Pas très rassurant. Une fois terminé, je monte dans un manège qui envoie une plate forme en l'air, et qui tourne sur elle même. Plus de sensations. Tout est rouillé. Je vois les engrenages qui propulsent l'engin. Ils sont bien usés et déformés. J'en sors vivant, comme les quelques milliers de personnes qui viendront après moi.
Bientôt, nous devons partir et rejoindre Santiago.
Que reste t-il de ce passage à Valparaiso? Une odeur de poésie que l'on retrouve même dans le tranquille cimetière dans lequel nous nous baladons avant de la quitter. Une expérience des plus riches et des plus belles. Une ville marquante, unique. Un magnifique souvenir. C'est une ville dans laquelle il faut flâner, se perdre, se laisser aller au hasard de la marche. C'est une ville ou lire un petit bouquin sur un banc, boire un verre entre amis. C'est une ville à vivre, à sentir. Et puis le plaisir des cafés, aussi. Les discussions décousues et universelles. Un soir, dans un bar, on me donne des conseils de drague. Comment séduire une femme de A à Z... Comment comprendre des codes relationnels que l'on ne connaît pas. Le charme de l'étranger, c'est aussi ça. Ces petits moments amusants, anodins sur l'instant, mais qui se teintent avec le temps d'une saveur toute particulière.
Nous partons ainsi vers Santiago, gentillement logé chez Claudia et Chloé, deux amies françaises. Le contraste est frappant. La ville est immense et s'étend à perte de vue. Gratte-ciel, voitures... Et bien sur le fameux smog, qui couvre la ville. On s'en aperçoit une fois monté sous un soleil de plomb sur une colline qui domine la ville. C'est le cerro (colline en castillan) San Cristobal, au sommet duquel se trouve une statue de la Vierge. D'ici, on peut voir l'infini du tissu urbain. Santiago est moderne. Le métro est flambant neuf, et les escaliers d'accès sont équipés d'un rail sur lequel repose un fauteuil électrique pour permettre l'accès aux handicapés. Le soir de notre arrivé, nous retrouvons Chloé chez elle. Elle vit dans un immeuble, au treizième étage. La vue est incroyable. On se croirait à Manathan. Les buildings clignotent. Une voie lactée électrique défie l'horizon. Une grande ville des Suds. Mais le temps manque. Nous ne nous y attarderons pas cette fois-ci.
Nous retraversons la frontière dans l'autre sens. Réveil à 2 heures pour effectuer de nouveau les formalités administratives, et attendre les fouilles de nos affaires. A 7 heures et demi, Mendoza se réveille doucement. Je la retrouve avec joie. Je m'y sens chez moi. Les agents municipaux passent le jet d'eau sur les pavés. Sans discuter, je cours me coucher.

Voilà trois jours que je suis rentré. Je rédige cette entrée selon les notes prises sur mon téléphone portable, mais surtout de mémoire. Souvent, quand quelque chose me marque, je l'évoque sur une feuille par deux ou trois mots. Je reprends le tout lors ce que je pense posséder suffisamment de matière pour construire un article. Mais vous l'aurez compris, on ne peut pas tout noter. Je n'ai pas un carnet incrusté dans la peau. Et souvent, en reprenant mes notes, je ne réussis pas à déchiffrer ce que j'ai écris. Et quand j'y parviens, je ne me souviens pas toujours à quoi elles se référaient. Je ne peux pas tout dire, et même pas dire ce que je tout ce que je voulais. Souvent, des détails me reviennent alors que l'article est en ligne depuis longtemps. Ce n'est pas grave, j'insère ses détails dans les articles suivants, sans respecter la chronologie des évènements. D'où le caractère parfois incohérent de mes textes. Les idées viennent, partent, reviennent et repartent. J'ai choisi l'inconstruction (regardez dans le dictionnaire, si trouvez ce mot, vous gagner 3000 euros) par facilité. Et puis de toute manière, je ne suis pas à l'école, alors laissez moi le plaisir d'emmerder enfin l'exigence de structuration.

Enfin, pour clore cette longue entrée, il me faut souligner aussi le plaisir de revoir les amis Français également en échange: c'est l'occasion de pleurer sur notre pays.
Jusqu'à quand allons nous accepter le mépris du droit?
Une institution est par nécessité impersonnelle dans le sens ou celle-ci ne fonctionne que dans le cadre de règles précises et écrites. Si notre président veut en modifier l'usage, pourquoi pas, à condition qu'on me demande mon avis! Si la majorité est alors contre moi, je ne pourrais que la fermer et prier pour être dans l'erreur. Mais tant que ce n'est pas le cas, quelle est la légitimité du politique qui appréhende une institution sans en respecter l'usage originel? C'est aussi ça le drame de l'affaire Woerth! Même si ce dernier est innocenté, il ne sera jamais totalement réhabilité. En supprimant le juge d'instruction, c'est la justice même qui perd sa neutralité. Et même si dans les faits elle la conserve (sait-on jamais), elle ne peut plus prouver qu'elle l'ai, puisque la réforme de l'institution n'est que le fruit d'un acte politique détaché de toute légitimité électorale (programme présidentiel, référendum). Dès lors, c'est la base même de la nature de la justice qui est en question. L'affaire Clearstream l'illustre bien. Composer une juridiction sur mesure pour rejuger l'ancien premier ministre, c'est remettre en cause l'État de droit. La justice est la même pour tous, et la loi s'impose à l'ensemble des membres de la société, même à ceux qui la dicte.
Les libéraux, ceux qui croient dur comme fer à la pensée de Locke, doivent avoir la nausée. Le libéralisme, c'est ce qui protège l'individu de l'expansion du pouvoir de l'État. Notre président acceptait sans complexe l'étiquette libérale, ce qui plaisait aux abrutis qui n'y voyait là qu'une signification purement économique, alors qu'elle reste essentiellement politique. J'espère qu'ils se sentent cons. En vulgarisant le débat, c'est l'idée même de libéralisme qu'on a tué. On a fait du libéralisme l'idée de la totale liberté économique. On diminue les impôts en son nom. Un vrai libéral sait que redistribuer les richesses est effectivement un devoir d'État. Keynes le dit. Mais Smith également. Ou en est l'idée libérale dans toute sa noblesse? L'idée des lumières (enfin de certaines), l'arme ultime contre les monarchies absolues. Non, Nicolas Sarkozy n'a rien d'un libéral. Le libéralisme ne peut admettre qu'un État parvienne ainsi à s'étendre là ou la liberté et l'égalité de tous s'imposait. Le France glisse actuellement sur une "pente totalitaire douce", c'est-à-dire que le pouvoir étatique s'infiltre là ou il n'a pas là s'infiltrer. Nomination du directeur de France Télévision et de Radio France par le président, remise en cause de la non rétroactivité de la loi (malgré l'avis défavorable du conseil des sages), déchéance de la nationalité (qui est illégale, inutile de faire preuve de mauvaise fois, il suffit de s'arrêter au premier article de notre constitution), pression sur les journalistes et sur leurs sources. Ce n'est pas sans précédent que l'exécutif outre-passe ses prérogatives. Mais à un tel rythme, c'est bien une première dans l'histoire de la cinquième république (et les fautes passées, de toutes manières, ne justifient pas les fautes actuelles).
Mais je pars dans tout les sens. Comment expliquer la politique honteuse de Hortefeux et Besson à l'égard des Roms? C'est en fait la manifestation d'une contradiction tactique. En 2007, Nicolas Sarkozy gagne grâce à l'insécurité. C'est l'image du karcher. Aujourd'hui, il est en perte de vitesse, et les élections approchent. Il faut donc ré-attirer l'électorat. Ce qui fonctionne, c'est l'insécurité, qui l'a mené au pouvoir il y a presque 4 ans. Oui, mais dire que l'insécurité est de nouveau le problème majeur, c'est de fait avouer que le bilan du président est mauvais, que les objectifs ne sont pas atteints. La seule solution est alors d'adopter un discours fondamentalement bancal et contradictoire. A la fois on s'alarme de la violence, mais en même temps, on assure que la situation est meilleure qu'en 2007. Depuis cette date, périodiquement, on nous balance des chiffres alarmant sur la violence. Et puis deux mois après, on applaudit une amélioration statistique. Depuis ces quatre dernières années, il est fascinant de constater combien un discours succède à l'autre. Donc ça va mieux, mais il reste encore des problèmes. Cette fois-ci, c'est à cause des Roumains (« Aujourd'hui, à Paris, la réalité est que près d'un auteur de vol sur cinq est un Roumain » « un vol commis par un mineur sur quatre l'est par un mineur roumain », chiffre d'ailleurs sortis de nulle part, aucun organisme n'ayant admis être à l'origine de ces chiffres). Et si Sarkozy gagne en 2012, et que tout va de travers en 2016, il faudra bien penser aux prochaines élections et mobiliser l'électorat. On nous dira que la sécurité a progressé, mais qu'il y a encore des problèmes. Ce sera la faute a qui?


Les photographies sont de Irina et Noémie.
Elles présentent successivement: -Le passage des Andes et Valparaiso
-Valparaiso
-Un tag de Valparaiso et Horcon
-Santiago.
Vous pouvez consulter le blog d'Irina: http://maradona-y-gauchos.over-blog.com

mercredi 15 septembre 2010

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Huitième entrée, du 1er au 15 septembre.






Mi-Septembre, les jours chauds arrivent. Déjà, je suis quotidiennement réveillé à midi par la chaleur qui m'oblige à enclencher mon ventilateur. Il faut dire que je vis dans une chambre encadrée de fenêtre. Je suis une plante en serre. J'ai porté, il y a une semaine pour la première fois, un bermuda. Et je reste en T-shirt la journée, même si les nuits restent très fraîches et que le thermomètre joue encore au yoyo. Fernando et Nicolas sont partis. En France, j'ai des échos de la rentrée. Les vacances sont terminées pour presque tout le monde. Je n'ai toujours pas de stage, et ce problème difficile occupe de plus en plus mon esprit. Après tout, c'est bien lui qui décidera du programme à venir.
Mais je crois qu'il est temps pour le moment de vous parler des ces petits détails, que je n'ai pas encore abordé. Insignifiants en apparence, ils font pourtant l'esprit de ce pays. La fête, tout d'abord! Les Argentins adorent sortir, et selon des horaires très différents de ce que j'ai pu connaître en France. La nuit ne commence pas avant 2 heures du matin, et se termine souvent vers 6 ou 7 heures... pour laisser place à "l'after", se tenant souvent chez quelqu'un, pour enfin pouvoir se coucher vers dix heures du matin. On comprend mieux l'utilité de la sieste... A Mendoza, il y a plusieurs lieux pour se retrouver le soir. Même si la rue Aristides est le plus connu. C'est ici que tout le monde, et aussi les étrangers, viennent dépenser leurs pesos. Le "Por aca" est un de ces bars branchés, à l'ambiance étudiée, connaissant une forte hausse des prix d'années en années, ou l'on peut danser sur des musiques plutôt rock. Reste aussi quelques autres bars, plus typiques, plus intellos sans doute, ou l'on peut regarder des couples danser le tango. Loin de l'épicentre de Buenos Aires, on trouve ici de nombreux bars ou apprendre cette danse typiquement Argentine. Un soir, avec quelques amis, nous avons pu admirer une belle prestation. Le Tango, c'est d'abord la sensualité en mouvement, la proximité extrême mais aussi la distance la plus cordiale. C'est à voir, assurément. J'essayerai d'en savoir plus. Et pourquoi pas même de m'initier, si la folie me prend, à moi et à mon légendaire sens du rythme. La soirée c'est terminée agréablement, par quelques verres de bière, mais aussi par la présence délicieuse d'un pigeon qui s'est fait un plaisir de me chier dans les cheveux.
Et sans transition, en Argentine, on mange quoi? Un peu comme en Europe. Mes papilles ne sont pas très dépaysées. Reste que le vin Argentin est plutôt bon. Mendoza, comme on dit ici, c'est la terre du soleil et du bon vin, "la tiera del sol y del buen vino". Ici, pour manger rapidement, souvent la nuit après être sorti, on prend des Panchos, c'est à dire des hot-dogs, que l'on peut acheter à tout les coins de rues. A chaque fois, une grande diversité de sauces est proposée. Un hot dog avec frite et soda coûte environ 15 pesos, soit 3 euros. Les Argentins aiment aussi les encas, et les croissants notamment. Plus petits et bien plus sucrés qu'en France, ces "Medialunas" peuvent au goûter être accompagnés d'un "submarino", d'un sous-marin, comme vous l'avez compris. C'est en fait un grand verre de lait chaud, dans lequel on plonge une barre de chocolat qui y fond pour obtenir le chocolat chaud d'ici... Mais je ne peux terminer ce sujet sans parler des "asados", les barbecues argentins. 500 grammes de viande par personne, cuite sur des braises. La meilleure viande du monde, dit-on! Tendre comme pas possible, goûteuse, la graisse qui l'entoure, en cuisant, rend la viande absolument irrésistible. Venir ici sans en manger est un crime. C'est la fierté du coin. Savoir si l'on a eu l'occasion d'y goûter est une des première question posée habituellement à l'étranger. Le préparer semble presque être un tâche noble, on en exalte le savoir faire, et à écoûter ceux qui estiment savoir maîtriser cet art, tous se prévalent d'être les meilleurs "asador" d'argentine. Pour nous, il suffit d'en sourire et de se régaler, rien de plus. J'ai eu l'occasion d'en manger quatre fois. Quatre bons souvenirs.
Un des autres traits assez marquant de l'identité Argentine reste le poids notable du christianisme. Ici, il est très fréquent de voir les gens effectuer le signe de croix dans la rue, en passant devant une Eglise. Les conducteurs au volant aussi s'y livrent. Fernando, lors d'un repas, nous indiquait que les jeunes ici sont très souvent en couple, mais cela ne rime pas toujours avec liberté sexuelle. Le préservatif, sans être absent pour autant, n'est pas aussi répandu dans les mentalités qu'en France, ou il ne l'est déjà pas assez. Sur le bord des routes, on trouve très souvent d'étranges autels, sous forme de petites maisons de tissu, dans laquelle trône une figurine de Marie. Il y a aussi, devant la faculté, une statue la représentant. De nombreux étudiants, en gagnant les cours, font machinalement le signe de croix en passant devant elle. En revanche, l'islam est invisible, tout autant que le Judaïsme. L'immigration est essentiellement régionale. Très peu de noirs (il arrive même, tel que j'ai pu le constater dans la rue, qu'ils fassent figure d'attractions, notamment quand la personne en question est une femme. On la siffle, on l'invite vulgairement à boire un verre. Un étrange fantasme.), très peu d'arabes, très peu d'asiatiques. Pauline, ma colocataire, souligne ainsi qu'elle n'a vu aucun restaurant chinois ou indien. Presque pas de Kebab non plus. A Mendoza, il n'y en a qu'un seul. Et il est très mauvais.

Voilà pour les détails. Reprenons un peu le cours des choses. Comme je vous l'ai dit, Fernando est parti. Durant les quelques soirs ou nous avons mangé tous ensemble, plusieurs conversations se sont enchaînées. Des échanges sur le subconscient, la dépression, sur les névroses et les maladies mentales, en passant par la question, épineuse ici, de l'avortement (Fernando est contre l'avortement volontaire effectué hors du cadre d'un viol ou de nécessité médicale), les compétences en médecine de Maud nous ont souvent éclairé. Fernando, lui, m'a permis de mieux cerner le phénomène Peroniste. Véritable pilier de la culture Argentine, Peron est un de ces leaders du second vingtième siècle, qui avec d'autres comme De Gaulle ont incarné la réalité du monde de l'après guerre. Enfin Peron, les Peron(s)... mari et femme! Juan et Eva! Peron est un mythe, une légende. Nombreux sont les Argentins qui connaissent par cœur la "Marcha Peronnista", chant à la gloire de celui qui a incarné la fierté ouvrière et exalté son identité. A plusieurs reprises, Fernando nous l'a chanté. Mais certains camarades d'université également. Demandant bêtement ce que signifiait pour eux le personnage, ils se sont levés de la table et ont commencé à chanter en riant. Dire que l'on est Peroniste, c'est un peu comme dire que l'on est Gaulliste. C'est facile, mais cela ne veut plus dire grand chose (désolé pour tout les Gaullistes que je fréquente). C'est une question de légitimation. Kirchner se dit Peroniste, mais d'autres Peroniste dénoncent l'étiquette. C'est donc un mouvement difficile à définir. Disons que c'est un populisme, un régime reposant sur un leader qui base son autorité sur le soutien populaire et le charme de sa personne. L'inspiration fasciste n'est pas loin, comme je vous en ai déjà parlé, et comme l'admet Fernando. C'est pour cela que de nombreuses légendes, plus ou moins vrais, circulent toujours sur le couple sacré. Fernando m'en a raconté une. En 1947, alors qu'il pleuvait averse sur Buenos Aires, Eva, dans une voiture officielle, rentrait chez elle. En voyant une pauvre femme et son enfant sous la pluie elle se serait arrêté, aurait fait monter la mère et sa fille dans la voiture pour leurs trouver de suite un toit. Cette série de gestes aussi concrets que symboliques constitue donc les fondations du mythe. Pour Fernando, on peut raisonnablement faire de nombreux rapprochements entre Peron et De Gaulle. Disons pour aller dans son sens que ces deux personnages, d'abord, appartiennent à la même époque, au même contexte particulier de l'après guerre. Disons aussi que ce sont deux personnages qui ont cru pouvoir représenter la nation au delà des oppositions traditionnelles, dans son unité souvent davantage fantasmée qu'autre chose. Fernando, est donc parti comme il était venu: en vantant Peron. Ce ne sera pas le seul.

Ce weekend, nous avons pris le bus pour parcourir la très fameuse route des vins. C'est, avec l'Aconcagua, l'activité touristique phare de la région. Petit retour sur cette journée...
Dès que nous sortons du bus, une série de personnes viennent nous proposer leurs services. Guerre des prix et des bicyclettes. Nous voilà bientôt sur nos vélos rouges, à partir pour la première Bodega, après avoir avalé difficilement une infâme piquette trop généreusement offerte par le loueur. Nous commençons d'abord par visiter un producteur d'huile d'olive. Petite visite dans cet atelier peuplé d'américain. Les rotations s'enchaînent comme à l'usine. On goûte de l'huile d'olive fièrement labellisée de vierge extra, du chocolat, de la tapenade, des alcools en tout genre, et y compris de l'absinthe, non diluée, qu'on nous propose dans des petits shooters. La gorge broyée, il faut bien repartir pour une seconde Bodega. Le vin est plutôt bon. Je trouve même que le rapport qualité-prix est infiniment plus avantageux ici qu'en France. Néanmoins, je préférerais laisser cette appréciation à la responsabilité d'un sommelier non chauvin. Le journée est agréable, mais pas sans surprise. Très vite, je remarque qu'une voiture de police nous suit. Dans le haut parleur, l'agent au volant nous demande, en anglais, de former un file indienne. Question de sécurité. Normal, nous sommes sur la route. Mais une fois l'ordre sagement accompli, la voiture ne cesse de nous coller, feux de détresse allumés. Elle nous escorte? Je ne comprends pas! Nous continuons de nous promener, à la recherche d'un lieu pour manger. Nous nous arrêtons à un croisement. La voiture s'arrête aussi. L'agent baisse la fenêtre, et demande ou nous allons. "On chercher un endroit pour manger". "D'accord". Je baisse les yeux, et je lis sur la portière "Police d'assistance aux touristes". Ce n'est pas la première fois que je vois cette unité, mais jamais d'aussi près. Nous repartons. La voiture aussi. Elle continue son escorte. Cette fois-ci, nous commençons à nous demander sérieusement ce qu'on nous veut! Les Suppositions vont bon train. "Il attend peut être de repérer si l'un de nous est bourré pour lui foutre une amende". Nous repérons alors un restaurant très chic, dans un domaine viticole, protégé par un portail électrique. Nous y allons, histoire que le flic cesse de jouer à la voiture du tour de France. Mission réussie. Après s'être étranglé en regardant le prix du menu, nous repartons vers une solution meilleure marché, heureux d'être défait de notre étrange compagnie policière... Mais une fois dans la rue, ce n'est plus une voiture, mais une moto qui nous attend! Nous pédalons, mais la moto, de la même unité, nous suit de nouveau. Nous nous arrêtons, et une amie demande enfin la raison de sa présence. "On travaille avec les touristes, ce n'est pas que la zone est dangereuse, mais il existe des tensions sociales". Nous voilà donc sur nos vélos, loués pour profiter un peu de la liberté qu'ils offrent, mais encadrés par la police, en plein après midi, dans un lieu qui n'avait pas l'air plus dangereux que cela. Nous nous arrêtons enfin pour manger quelques empenadas et s'arrêter une heure, avant de repartir nous balader dans les environs librement... Mais en quelques minutes, un nouveau policier nous repère et se met à nous suivre. Nous nous réfugions dans un atelier d'artistes, ouvert au public. Ce dernier nous attend patiemment pendant une demi-heure devant la maisonnette... Comme je le dis à un des membres du groupe, la situation me rappelle "Tintin et les Picaros", quand le capitaine Haddock se retrouve dans une maison, surveillée par la police, et que ce dernier ne peut aller acheter du tabac sans être escorté. Cet album se passe en Amérique latine. Et la police signifie au brave capitaine que c'est pour sa sécurité... Trêve de comparaison hasardeuse et infondée. Ici, la violence nuit sans doute au tourisme. Mais l'expérience ne me fut pas agréable. Je n'imaginais pas un vol, en plein après-midi, dans cette ville plutôt animée... Et si on ne surveillait pas simplement que nous n'allions pas voler les vélos? Ici, pas besoin de donner son identité pour en louer, et encore moins de dépôt de garantie... Mais la fin de journée fut charmante, et la campagne agréable. Les odeurs, les couleurs... Un régal. La vie, sur la route des vins, semble douce. A refaire.
Ces derniers temps, j'ai eu l'occasion de constater plus précisément l'ampleur des inégalités qui sévissent dans la banlieue de Mendoza. Il y a quelques jours, nous avons été invité à une soirée. Nous arrivons sans en savoir plus. Un mur gigantesque, un interphone, du fer forgé se terminant en pics acérés... Nous sonnons. La porte du garage coulisse. Deux ou trois voitures de luxe, une piscine, une maison énorme, des escaliers de château... Des jeunes gens bien habillés, une table remplie de nourriture, de la viande à foison, du champagne... Et puis des adultes aussi, qui surveillent apparemment que tout se passe bien. Merde, je suis tombé dans un rallye argentin ou quoi? Je n'avais jamais été invité dans un lieu pareil, ni en France, ni ailleurs. Mais bon, l'alcool était gratuit. Et puis d'autres étrangers, aussi hallucinés que nous sont arrivés. Des américains: une étudiante en philo, l'autre en musique. La soirée c'est terminée calmement, et même un peu en anglais... Enfin, tant bien que mal.
Le lendemain, je dois aller à la fac. Bien sur, je me trompe de bus. Je vois mon université s'éloigner. Je ne sais pas pourquoi, mais je reste dans le bus. Avec un peu de chance, il s'y arrêtera en faisant demi-tour... Manifestement, non. Me voilà de l'autre coté du parc San Martin, sur une route en terre, cabossée, dans un quartier pauvre. Bon, tant pis, je descends, et je me tape une heure de marche dans le bidonville. Des chiants errants, des rues entières de maisons minuscules, croulantes, en bois et en tôles. Des petits kiosques rabougris (les Kiosques, se sont des petites boutiques ou l'on achète à manger, des clopes, de la bière...). Des enfants jouant dans la terre, le soleil, et la poussière dans mes cheveux. Un peu plus loin, les habitations sont en dur. Aussi petites, mais en dur. Les rues sont en terre, les maisons vraiment très modestes, je quitte le bidonville pour un quartier pauvre. Les voitures, de véritable tas de taules rouillées. De vielles voitures américaines aux longs capots. Mais comment peuvent elles encore rouler, sérieusement? Plus une seule trace de peinture, plus de clignotant, plus rien, mais elles roulent! En France, les voitures neuves tombent en panne en 3 mois, et ici, celles qui ont quitté la casse en France depuis 10 ans roulent sans broncher. On devrait faire venir quelques mécaniciens argentins dans nos garages... Bref, en quelques jours, deux lieux contraires, contradictoires. Deux lieux accueillants aussi, très différents de ce que je connais. L'Argentine riche, celle qui profite des opportunités, et celle, pauvre, qui tend petit à petit lever la tête, tout doucement. La problématique des bidonvilles ici n'est pas la même qu'en Afrique ou parfois qu'en Asie. Ici, on ne trouve plus de bidonvilles s'étendant à l'infini autour de la ville formelle. Ce ne sont que des espaces résiduels et spatialement limités. Les enfants de ces quartiers vont à l'école publique en transport scolaire. Ces quartiers sont desservis par le bus. L'électricité est disponible. Pas de routes, pas d'adresses véritables, pas de boites aux lettres d'ailleurs, mais la zone existe dans le tissu social global. En marge, certes, mais pas de double réalité urbaine qui s'ignorent, enfin, moins que dans d'autres pays. Bien sur, je ne passe pas inaperçu pour autant, à me balader avec ma chemise et mon petit classeur. En 2001, le climat social était bien plus explosif. Fernando me racontait les morts dans les manifestations, les tensions extrêmes et l'armée patrouillant à Buenos Aires. L'Argentine était au bord du gouffre. En quelques mois, tout s'était effondré. Tout. Les vies étaient appelées à changer radicalement. C'est à la lumière de ce passé qu'il nous faut penser l'Argentine d'aujourd'hui.


Les photographies montrent notre balade à vélos sur la route des vins. Je n'en suis pas l'auteur.

mercredi 1 septembre 2010

Septième entrée, du 22 Août au 1 septembre 2010.






N'ayant pas pris de photo à Uspallata, je me permet de vous montrer celles prises par Sandra Maya.




Frères Lumière, néoréalisme italien, nouvelle vague française, cinéma soviétique... Vous l'aurez compris, le cours de "comunicacion cinematografica" est l'un de mes favoris à l'université. Il y a une semaine, je devais réaliser un travail de groupe, à présenter ensuite à l'oral, sur l'histoire générale du cinéma mondial. L'occasion de rencontrer cinq Argentins, de boire du maté en s'empiffrant de pâtisseries, mais aussi, bien sur, de parler une fois encore de politique! La discussion s'engage. Elle durera une bonne heure.
Face à moi, Natalia, une jeune étudiante en communication sociale, encartée auprès de Kirchner. La discussion commence par une question, innocente, sur la place de la mémoire de l'"époque Videla" dans la culture Argentine. Si pour certains, c'est du passé, cette question me semble plus vive ici, dans les couloirs de l'université. Les élèves se mobilisent contre la présence d'un professeur au passé très sombre, exerçant à la faculté de Droit. Par manque de preuve, ou par magouille, il a échappé à la justice. Natalia m'explique qu'après la dictature, l'heure était à l'union et au rassemblement du peuple dans un projet d'avenir. On ne construit pas un avenir en remuant le passé. C'est l'objet de la loi dite de "Punto final", qui comme son nom l'indique, vient théoriquement clore le débat sur cette mémoire meurtrie. Pour Natalia, c'est une erreur. "Et la justice?". Aujourd'hui encore, las abuelas de la plaza de Mayo continuent le combat plus que symbolique pour la vérité. Sous Videla, les opposants étaient arrêtés, drogués, et jetés vivant dans la mer. Ainsi, en respirant, les poumons se gorgeaient d'eau. Les corps s'enfonçaient alors dans les eaux sans jamais dériver jusqu'aux plages. Une autre horreur de l'époque consistait à enlever les bébés de personnes trop dérangeantes, pour les donner à un couple proche du régime. Aujourd'hui, de nombreux adultes cherchent leurs véritables racines. A Buenos Aires, on a créé un centre, dans lequel chacun peut venir espérer trouver sa vérité, grâce à une sorte de "Banque d'ADN".
Je veux vite en savoir plus sur la présidente. "Qui est Kirchner, au juste?" Située au centre gauche, Natalia, en militante, vante son bilan. Les adversaires, de gauche ou de droite, ne proposeraient rien d'autre qu'une opposition stérile et systématique, quand ce n'est pas une extrême division, récurrente chez les Communistes, Guévaristes, Anarchistes, Libertaires... très présents à l'université. Cependant, un ami Argentin m'expliquait, le lendemain, que l'opposition Gauche/Droite est ici bien moins nette qu'en France. En gros, en Argentine, la politique est un grand bordel (c'est la traduction la plus juste que je peux vous faire).
L'université est donc radicalement à gauche, comme j'en ai déjà parlé. Mais de manière globale, la province de Mendoza est très conservatrice, excentrée, et l'Église reste souvent la première clef d'explication du vote. Reste cette faculté un peu hors temps, et, comme s'amuse à me répéter Natalia, concentrée sur un idéal de société ayant vécu. Ici la jeunesse, comme c'est souvent le cas, est plus à gauche que le reste de la population. Mais loin, très loin d'une majorité davantage centriste. Et si l'on milite dans les classes pour une politique plus révolutionnaire, dans l'isoloir, on vote en réalité pour une Kirchner rose pâle. Ici, l'extrême gauche, c'est moins de 5% des voix. En 2011, même si rien n'est joué, on croit fort à une nouvelle victoire du couple. Un retour de la droite traditionnelle est-il aussi envisageable? Luciana, autre étudiante "Kircherienne" n'y croit pas. Mais alors, comment expliquer la victoire, de l'autre côté des Andes, de Sebastian Piñera? Pourquoi cette exception Latine? On m'explique alors que le Chili reste un pays particulier. Parmi les plus prospères d'Amérique latine (avec l'Argentine et le Brésil), il n'en reste pas moins que le Chili est un pays très inégalitaire. "No hay clase media en Chile". Cette vision, certes schématique, m'est souvent décrite. L'argent, au Chili, est encore plus inégalement réparti qu'en Argentine. Le niveau de vie y est moins bon qu'ici, ou le salaire minimum, légalement imposé, est le plus élevé d'Amérique latine (environ 600 dollars, et selon Fernando, deux salaires minimums pour une famille de 4 est suffisant pour vivre convenablement, manger équilibré...). Cela dit, je suis de plus en plus frappé par l'énorme contraste entre Mendoza et sa banlieue. Dès qu'on s'en éloigne, l'ambiance change vraiment. On passe des immeubles assez luxueux à de minuscules maisons, mal entretenues, dans des quartiers poussiéreux. J'aimerais bien en prendre une photo pour illustrer tout ça, mais ça me gêne aussi de le faire, pour les raisons que vous comprenez.
Bref, c'est ce qui explique, pour Luciana, le retour de la droite au Chili. La population n'a pas d'attache électorale. Elle reste très fragile, et soumise aux discours. Comme partout. Sauf qu'au Chili, le 11 Septembre 1973, Pinochet prenait le pouvoir main dans la main avec la CIA, contre un Allende démocratiquement élu et qui avait, quelques mois avant le coup de force, rencontré Fidel Castro. Ce n'était pas du goût de la maison blanche. Partant de Valparaiso, Pinochet gagna le palais de la "Moneda". On proposa un échappatoire au président Allende. Il le refusa et se tua avec l'arme que Castro, durant sa visite, lui avait offert. Pinochet ne lâchera le pouvoir qu'en 1990, après avoir perdu un référendum. Luciana, au Chili lors des dernières élections, avait entendu de son appartement, au moment des résultats, sa voisine de 60 ans crier "Viva Pinochet!". Sebastian Piñera venait de gagner, et l'on devait dépouiller pas mal de nostalgie. Je ne sais plus quel prof de SES m'avait dit ça au lycée: "La démocratie, c'est comme une flamme, faute d'entretien, elle meurt d'elle même". Belle phrase pour une réalité qui l'est moins. Ne nous méprenons pas. Je ne suis pas en train de théoriser le retour du passé Chilien. Je ne fais pas un parallèle entre Piñera et Pinochet. Je dis seulement que certains, eux, le font. Preuve supplémentaire que sans paix sociale et sans un minimum d'égalité, les réflexes réactionnaires ou identitaires ne peuvent jamais être durablement vaincus. Éducation, santé, sécurité, resterons donc toujours des responsabilités d'État. De nombreux Boliviens, Chiliens... viennent d'ailleurs en Argentine pour en profiter. Ils travaillent, comme on me l'explique, là ou aucun Argentins ne veut plus travailler. Ici, c'est dans la récolte du raisin, par exemple.
En Argentine, la pauvreté a bien reculé depuis le crash de 2001. Selon Luciana, en 2001-2002, on estimait que 50% de la population souffrait de la misère. J'ai vérifié par la suite, sans trouver ce qu'on pouvait entendre par "souffrir de la misère" (la source de cette info, Le Monde Diplomatique, n'en donne aucune définition, ce qui reste pour le moins gênant). Il y a aujourd'hui encore beaucoup de pauvreté ici, et l'on est loin des années d'avant dictature, ou l'Argentine devançait de nombreux pays européens. Néanmoins, la situation n'est plus comparable, et depuis 2004, elle connait une constante amélioration. Natalia y voit les fruits de la politique du couple Kirchner, qui a réussi à redresser le pays après la présidence de Menem, en 1991. En ancrant le Peso sur le Dollars US, l'économie s'était retrouvée au bord du gouffre. Comme le dit Fernando, l'agriculture était en menace de mort. Les exportations, force de l'Argentine, ne trouvaient plus preneurs, même si l'endettement et l'investissement étaient alors bon marché. Menem, en refusant de dévaluer la monnaie, a précipité une crise alors inéluctable. Le FMI est intervenu. Aujourd'hui encore, l'Etat doit rembourser cette aide, ce qui agace la gauche qui demande au gouvernement de cesser d'honorer la dette, pour investir notamment dans l'éducation et la rénovation des universités. Pour Natalia, Kirchner est une Keynésienne modérée. L'Argentine suis le chemin du protectionnisme. Ici, tout les produits locaux sont valorisés. "Industria Argentina", c'est l'inscription qui trône fièrement sur les paquets des produits nationaux. Quand aux produits importés, ils sont très chers. Quasiment 10 pesos ici pour un paquet de Kinder, par exemple (c'est le prix de deux paquets de clope, c'est la moitié du prix d'un menu MacDo...).

Discussions après discussions, débats après débats, me voilà à la fin de mon premier mois ici. Le temps s'amuse à se rétrécir et à s'étendre. Me voici enfin installé, mais toujours étranger, dans ce pays aussi familier qu'étrange. Quand je vous parle des gens que je croise, je vous en parle tel que les choses me sont venues, dans la mesure du possible. Je ne passe pas mes journées à naviguer sur les sites de l'ONU, de l'OMS ou de la Banque Mondiale pour vérifier les informations qu'on me donne. Je ne vérifie pas systématiquement ce qu'on m'affirme en jetant un coup d'œil aux sondages. D'abord parce que je suis trop paresseux pour cela, mais aussi parce que ce n'est pas l'objet de ce blog. Je ne fais que vous parler de ce que je vois, de ce que je ressens. Des paradoxes qui m'apparaissent et des discours contradictoires qu'on me donne. Un pays, une nation, des cultures, des opinions... c'est toujours une espèce de marmite étrange dans laquelle on ne tire pas grand chose. La seule façon de tirer au clair tout ceci serait de vous faire un tableau à mille entrées, avec la densité de population, le nom de la capitale, le chef de l'État, les pourcentages de pratiquant religieux... Vous trouverez cela sur Internet, si ça vous intéresse. Mais faire cela, c'est aussi quelque part réifier un pays. En faire un objet simple, que l'on peut manipuler dans des schémas lisibles mais réducteurs. Il y aura toujours trop de données pour envisager comprendre un pays dans sa totalité. Je vis en France depuis 20 ans, mais je suis incapable de répondre lorsque ici on me demande "Et les Français, ils pensent quoi de Sarkozy/L'argentine/Le football...". On n'existe que dans le seul prisme de son expérience et de son vécu. Je n'existe que dans ma France. Si je me mettais à vouloir faire de ce blog un temple de l'exactitude, je transformerais ce que je vis ici en un objet. Je n'en ai ni les compétences, ni l'envie. Je rentrerais en France avec l'impression de vous avoir dressé un portrait faux, ayant l'étiquette du vrai. Ici, je vous dessine un portrait faux, mais je le revendique. Je ne suis ni politologue, ni sociologue. Je suis encore moins journaliste. Ceux là vous proposent de l'intelligible et de l'exploitable. Moi, je ne peux que vous proposer de l'interprété et de l'engagé. Donc nécessairement de l'erreur, ou au moins de l'extrapolé. Et ça tombe bien, la neutralité scientifique, ça m'emmerde! Je ne vais pas traverser l'Argentine, prendre dans chaque région un échantillon représentatif, proposer un questionnaire, puis utiliser des formules mathématiques pour obtenir des données fiables. Je ne peux pas le faire. Je ne sais pas le faire. Ça à déjà été fait. Et puis au final, ça ne serait pas la réalité. Ce serait un objet de ce réel. La réalité, elle existe, mais personne ne la saura jamais. Personne à part Dieu et Maradona, ce qui pour certains ici revient au même.

Parenthèse clause, je peux vous parler de cette soirée, un peu surréaliste, que j'ai passé il y a quelques jours avec Fernando, Cecilia, Nicolas, Pauline, Maud (la nouvelle arrivée ici, étudiante en cinquième année de Médecine) et Mercedes (c'est la coordinatrice d'un site web qui gère les collocations et la tenue des contrats) accompagnée d'un ami, médecin à Buenos Aires. L'ambiance était détendue. Nous mangions des pizzas en buvant de la bière, tout en passant du coq à l'âne. Puis Fernando me demande de rouler un joint. Je m'exécute, et nous voilà rapidement tous ensemble à faire tourner ma marijuana. Je n'avais jamais fumé du cannabis avec des personnes de 30 et 40 ans... C'était surréaliste, surtout avec Mercedes, cette personne lointaine, ancienne chercheuse de haut niveau, que je ne connaissais alors que par mails. Je n'aurais jamais imaginé cette scène en France. Jamais. Puis la nuit passant, a commencé un long débat, un peu brouillon, sur... l'amour! Pour la première fois de ma vie, j'étais là, du haut de mes jeunes 21 ans, à entendre des adultes, la trentaine passée, voir la quarantaine entamée, parler de cela avec moi. Les déceptions, la jeunesse enfouit, les névroses même, pour certains... Sous la nuit de Mendoza, ces personnes reprenaient leur vie, leurs doutes, leur adolescence. J'étais sidéré. Je ne m'étais jamais posé la question: Serai-je aussi ici, dans vingts ans, assis à leurs places, à parler de mes amours d'enfances, boutonneux et malhabiles? Je n'ai jamais vraiment osé demander à une personne de plus de trente ans quel regard peut-on porter, la quarantaine passée, sur son lointain vécu affectif. Je pensais bêtement que tout s'oubliait. Je me trompais donc? Et vos parents, se souviennent-ils des premiers amours? Les voient-ils avec nostalgie, peine, humour ou indifférence? Je ne sais pas pourquoi, mais voir ces gens parler ce ces choses, débattre de questions aussi fondamentales qu'inutiles (l'amour existe t-il? Peut-il être éternel?), cela à enclenché chez moi un mécanisme étrange. D'un seul coup, tout m'est revenu. Non, dans vingts ans, je serai comme eux, ici, assis entre amis à parler de poussières. Voyager, c'est aussi se rendre compte, soudainement, combien l'on a vieilli. Il y a quelques années je m'imaginais au bout de la terre, à marcher fièrement dans une rue lointaine. J'y suis aujourd'hui! Mais moins fier sans doute. L'enfance est enterrée, morte, terminée. A vingt ans, la vie commence, mais je suis surpris de voir combien les souvenirs entassés pèsent déjà. A vingt ans, on est presque adulte. Il est déjà trop tard. Les premiers pas à la nouvelle école, les humiliations du collège, l'enivrement des années lycées. Les premiers auteurs, les premiers mercredis après-midi à faire du sport en club, les premiers verres d'alcools, les premières vacances entre amis, les engueulades avec les parents, les débats insignifiants, les examens, les échecs, les victoires, ma démarche d'adolescent préoccupé. Mes premières tentatives de séductions, pour le moins comiques. Les premiers sentiments, les premières colères. Les premières erreurs. Les premières amitiés, les premiers débats, les photos de classe, les vaccins obligatoires, la bouffe de la cantine, les mots sur le carnet de liaison... Tout ceci, ce soir là, sous les étoiles, était derrière moi. C'est une des première fois que je me vois comme un être construit, et non pas seulement en construction. Ce soir-là, j'avais un passé, un passif, un chemin. Faut-il partir, voyager, changer temporairement de vie pour s'en rendre compte? Non. Mais cela aide, parce qu'en s'éloignant du portait qu'on dessine, le temps d'aller chercher à l'atelier des Andes de nouvelles couleurs, on se rend mieux compte, de loin, à quoi ressemble ce que l'on est en train de peindre et la forme de ce que l'on a peint.
La discussion a duré encore longtemps. Fernando était là pour illustrer ce débat de références philosophiques! Cécilia, en citant les grandes œuvres de la littérature. Emma Bovary et sa folie romanesque, Nietzsche et son éternel retour, Freud et sa névrose du sexe (disons-le!), Foucault et son "histoire de la sexualité". J'étais bien. Je me sentais chez moi, à parler d'auteurs et de pensées "europeanno-centrées", pardon pour cette faiblesse. Pour une fois, je savais au moins de quoi l'on parlait. Je ne posait plus de questions, comme d'habitude, mais je posais des problèmes. Je n'avais pas uniquement à apprendre, j'avais aussi à participer. Autour de ces personnes plus âgés que moi, je me suis senti vivant comme rarement. Puis les gens sont partis. Je suis resté un peu avec Cecilia, histoire de parler de poésie, de la figure mutilée de l'artiste, de l"homme qui aime l'amour mais qui ne fait jamais l'amour". Ça lui faisait plaisir de parler de ça avec moi. J'avais l'impression qu'elle continuait de fantasmer sur la "France pays d'artistes". J'ai joué le jeu, un peu pour lui faire plaisir. La soirée c'est terminée. La bougie c'est consommée toute seule. Enfin, tant est qu'il y en avait une, ce que je ne peux affirmer. Mais l'image traduit bien mon sentiment et l'ambiance d'alors. Et puis, c'est juste aussi l'histoire de me la raconter grave.

Le samedi, j'ai suivi quelques amis, deux françaises de Rennes, une espagnole d'Extremadure, une allemande de Leipzig et un mexicain de je ne sais ou en ballade à Uspallata, une ville à deux heures de Mendoza. Une bonne ambiance et de bon souvenirs, perchés sur nos vélos.
Uspallata, une merveille, un joyau! Des montagnes et hauts-plateaux trônant à 3000 mètres, dans un décors désertique. Des couleurs innombrables, du rouge, mauve, jaune, vert et même du bleu. Je n'avais jamais vu ça. Pour moi, la montagne, c'était des plaines et des vaches!
Nous étions seul au monde, dans ce lieu qui restera un des spectacles les plus grandioses de ma vie. Pour la première fois, je goutais vraiment à la beauté des Andes, après un mois à errer dans Mendoza. J'étais ému. Vraiment. Profondément. Il n'y avait aucun mot pour traduire combien, face à ce paysage, seul le silence s'imposait. J'en ai vraiment pris plein les yeux. Une rapide descente en rappel, parfaite petite activité touristique d'une facilité d'enfant (même que je suis été trop fort!), et puis retour sur la ville en vélo. Ce couloir aux murs de montagne s'ouvrait sur une grande plaine allongé au pied des Andes. Féérique. Incroyable. C'est ici, en 1997, qu'a été tourné 7 ans au Tibet. La vérité est bien plus belle (même sans Brad Pit)! Et puis ce vent, violent, qui giflait la gueule! A Mendoza, le vent ne souffle presque jamais. Il me manquait, ce compagnon de partout! Le ressentir enfin, après des semaines d'absence, fut une libération formidable. Écarter les bras, le laisser s'engouffrer dans les vêtements, siffler aux oreilles. Cela restera un moment des plus forts. J'ai vécu quelque chose de spécial. Dans ma tête, j'ai senti ce dépaysement incroyable, le même qui fait frisonner l'échine et qui enflamme l'imagination.

Et puis, en revenant à Mendoza, j'ai réalisé qu'un mois était écoulé. Non, je n'étais pas en vacances. Et si tout finissait mal? Si je revenais en France avec ce terrible soulagement, celui qui trahit l'expérience difficile? Si je m'enterrais dans ma chambre pour passer mes nuits les yeux ouverts à attendre le retour? Si la solitude devenait ma plus grande compagne, moi qui l'ai toujours détesté, elle qui me terrorise toujours autant? L'année a commencé. Les premières joies sont là, et les premières emmerdes aussi. Ma carte bleue est bloquée, je vis aux crédits de mes amis, et je dois encore tenir au moins une semaine. En France, la rentrée approche, et ceux que l'on connait s'apprêtent à reprendre une routine dans laquelle on ne figurera pas. Moi, je reste là à toujours réfléchir sur ma situation. Cette année sera ainsi. Toujours comparer, se demander, s'interroger... S'analyser encore et encore, tout en savant qu'on en tire jamais rien, parce qu'il n'y a rien à en tirer, et ce jusqu'à s'inventer quelque chose qui n'existe pas et à force de conviction, lui donner vie... Pour beaucoup, c'est le meilleur moyen de rater cette expérience. En s'interrogeant sur sa situation, on en oublie d'être inconscient. Peut être. Mais j'ai toujours vécu comme ça, et je ne sais pas trop comment faire autrement. Sinon, ce blog n'existerait pas. Je vivrais cette année comme elle vient, sans peur, sans doute, en prenant les choses à bras le corps.
Je n'ai jamais réussi à faire ça.
Et je n'en suis pas mort pour autant.