samedi 27 novembre 2010

Douzième entrée. Du 2 au 27 Novembre.







Je suis assis sur ma chaise, le regard sur l'écran. Le soleil se couche, mais une mèche de cheveux est toujours collée sur mon front. Putain, il fait chaud aujourd'hui. Derrière moi, un tas de feuilles, de bouteilles en plastiques vides, de chaussettes puantes et de bouquins. Sur mon bureau, des paquets de biscuits éventrés, des assiettes sales... Ma chambre est un champ de bataille, recouvert des cadavres de ces derniers mois. Le premier acte touche à sa fin, les examens sont terminés, et petit à petit, ceux qui sont venus pour étudier un semestre s'en vont. Ceux qui restent préparent les petits voyages à venir, cherchent encore des stages, mais tous font leurs valises. Bientôt, il faudra chercher un nouvel appartement. Personne ne va continuer à payer une location inhabitée durant 3 mois!
Ce sera l'occasion de changer de style de vie, aussi. Il flotte donc dans l'air le parfum bien connu des au revoir.
Demain, je pars pour Salta, au nord de l'Argentine. Ensuite, je traverserai la frontière Bolivienne pour continuer à longer les Andes jusqu'à La Paz, avant de voir le fameux Titicaca, pour enfin gagner Lima. D'ici, la découverte du Machu Pichu, et le reste, selon l'humeur. Bien sur, je n'aurai pas le loisir de vous raconter tout ceci en direct. Mon accès à internet sera limité. Nous nous retrouverons en Janvier, pendant mon stage. Je commencerai à rédiger les petites aventures de ce voyage. Je pense aussi aller une vingtaine de jours en Patagonie, en Mars, avant d'entamer mon second semestre, c'est-à-dire le premier (souvenez vous que l'année est inversée). La Bolivie et le Pérou, c'est une autre Amérique latine. Lors d'un repas, organisé par notre propriétaire pour fêter notre départ, j'ai eu l'occasion d'en parler avec Fernando, que je n'avais pas vu depuis deux mois. Il parlait avec une lueur dans les yeux de cette Amérique, abyssale, mystérieuse, ou les indiens mangent des cactus aux propriétés hallucinogènes (San Pedro, Peyotte), ou encore de l'Ayahuasca, herbe très psycho-active qu'il semble bien connaître (les produits psychotropes sont un de ses sujets de prédilection, après les femmes). Mes ces herbes font effectivement parties intégrantes de la culture amérindienne, permettant la matérialisation d'un lien entre les hommes et les dieux. Sans parler de la coca, bien sur, feuilles que Morales n'hésite pas à mâcher en pleine conférence de presse, pour marquer sa volonté de défendre la culture bolivienne.
Me voici donc un peu dans les cartons, et satisfait aussi de ces mois passés. Les liens avec les Argentins ne sont pas toujours aisés à tisser, mais la richesse du pays demeure incroyable. Revenir de soirée dans la douceur de la nuit, être réveillé par la chaleur de ma petite chambre à 10 heures tout les matins, traverser la verdure de la place de l'indépendance pour aller à l'université, manger quelques asados en bonne compagnie. Un quotidien agréable, qui s'étend jusqu'à la terrasse ensoleillée de ce qui sera bientôt mon ancienne colocation. La belle vie, pour le dire vite et bien.
Ces derniers jours, j'ai eu l'occasion d'aller à Cacheuta, une minuscule ville dans la montagne ou on trouve des thermes en plein air. Au milieu des enfants gesticulants et des vieillards trainant leur bedaine, le soleil s'est fait un plaisir de me transformer en un énorme homard. Bien rouge. Enfin presque. Trop idiot pour savoir bien répartir la crème, j'ai aussi fait de mon corps, pour quelques jours, une œuvre avant-gardiste. « Le rouge et le blanc, tâches et dégradés », Benjamin CHEVALIER, Novembre 2010. On a voulu m'exposer, mais j'ai refusé, je reste modeste.

Il y a deux semaines, aussi, a soufflé un vent bien particulier ici. Un vent chaud, très chaud, couvrant la ville d'un épais nuage de sable. Une expérience impressionnante. Le thermomètre pointait à 48 degrés, on ne voyait plus au-delà de 100 mètres. L'air marron, les arbres pliés, les poubelles au vent, et le sable dans les yeux. Une véritable apocalypse, comme me l'a glissé Mathias, notre nouveau colocataire Argentin, qui étudie aussi le cinéma. Le sable se glissait sous ma porte, recouvrant le clavier de l'ordinateur d'une fine couche de poussière. Une vraie tempête de sable, comme dans les films...
Et j'ai enfin mon visa! Après le parcours du combattant, mille allers-retours et taxes en tout genre, je suis un étudiant en situation régulière. Pour le faire, il faut traîner plusieurs jours à la « Migracion », en rapportant toujours de nouveaux documents des plus inutiles. Certains l'appellent la Migracion des Boliviens. On comprend pourquoi. Présents dès l'ouverture, ils restent là, assis dans la salle d'attente. Certains sont en poncho, un bébé sur le dos. Matérialisation d'une vérité qui m'avait été dite, mais que je n'avais jamais constaté, celle de la migration bolivienne, des centaines de personnes venues trouver un emploi. Leur situation économique reste précaire, comme celle des enfants qui, venus des quartiers pauvres, ne cessent de venir demander de la monnaie, le visage sale et les vêtements gris, dès que l'on s'assoit à une terrasse pour prendre un verre. La richesse et la pauvreté dans un étrange état de proximité lointaine.
Comme je vous l'ai déjà montré, l'Argentine est souvent très mal classée par les indices de corruption. La corruption est, paraît-il, très présente. Mais la démocratie Argentine est pourtant dynamique. Chaque semaine, une manifestation passe dans ma rue. Et quand je dis manifestation… Non pas qu'elles ne réunissent systématiquement une fabuleuse quantité de citoyens, non, mais ce qui est sur, c'est qu'on les entend! Tambours, danses, vêtements de toutes les couleurs (combien de regrette mon appareil photo!)... Une bombe sonore et colorée explosant au cœur de la ville... pour bien souvent me tirer de force du sommeil (quelle idée de manifester le matin...).
La mobilisation semble « facile » à organiser. Fréquemment, des militants plantent des tentes sur la rue piétonne et clament leurs revendications. La population a la parole. Il n'y a d'ailleurs souvent que très peu de policiers pour encadrer et surveiller l'animation. Cette vigueur du dialogue et du débat est remarquable. Actuellement, les deux grands combats sont la légalisation de l'avortement et la lutte contre l'ouverture, à Uspallata, d'une mine à ciel ouvert, apparemment nocive pour l'environnement et les populations locales.
Le temps me manque pour écrire l'article que je désirais. J'aurais aimé vous parler un peu plus du Fernet, l'alcool national qui se boit avec du coca-cola, des cafards qui avec la chaleur viennent ramper entre nos pieds, des soirées à regarder allongé les étoiles sous la douceur de la nuit... Mais j'aurais surtout aimé vous parler de tout ces gens qui partent, ayant terminé le semestre. Quelques petites lignes, histoire de montrer à quel point ces liens temporaires par fatalité sont d'une importance cruciale, première, donnant à ces quelques mois une force remarquable. Comme toujours, au final, la richesse la plus importante est humaine. Les plus beaux paysages se gravent dans la mémoire, mais il n'y a que le souvenir des visages qui peut faire tomber les larmes.(wwhhhaaa!). Désolé pour cette phrase convenue et quelques peut pompeuse, mais je ne pouvais pas continuer à écrire plus à propos des voyages sans parler aussi de l'amitié. Nan mais!

Petits mots donc pour ces gens qui me manqueront, et qui font ce que cette expérience est ce qu'elle est.

Mais comme toujours, dans la précipitation du départ, je ne peux pas faire plus.

Nous nous retrouverons en Janvier.

Plus haut, quelques photos de Cacheuta, qui ne sont toujours pas de moi, et d'une de ces « soirées cinéma étranger » dont je vous parlais dans une entrée précédente.

mardi 2 novembre 2010

Suite, photos





Merci à Irina et Laurène pour les photos!

Onzième entrée, du 16 octobre au premier novembre






« Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas et les Argentins descendent des bateaux. ». Voilà un proverbe que j'ai souvent lu, ou entendu. L'Argentine est-elle en quelques sortes l'Europe de l'Amérique? Je n'irai pas jusque là. Pourtant, il y a quelques jours, je prenais une bière avec un ami Argentin, après une petit randonnée en montagne. Lui faisant part de mon projet de voyage en Bolivie et au Pérou, ce dernier me répond « C'est bien, tu dois y aller, c'est la vraie Amérique Latine, tu dois la voir ». Le soir même, je discutais avec un Argentin, totalement ivre par ailleurs. Il me racontait en titubant la pauvreté, la famine, bref, une réalité qui a disparu du sol Argentin depuis près de 30 ans selon l'OMS. J'ignore qui dit vrai, mais le plus intéressant fut son entrée, dans un délire étrange. « Moi, je suis d'origine Italienne, tu vois, comme beaucoup ici mes origines sont Européennes ». Puis « Je suis exactement comme toi ». Ce à quoi, moi et ma belle éducation bien pensante répondons. « C'est sur, mais en même temps, tu es aussi exactement comme un indien, autant que moi aussi je suis comme un indien et comme toi ». Mais les discours humanistes se marient mal avec l'alcool. Il m'a regardé perplexe avant de replonger dans un délire tout autre. Même fortement alcoolisé, ce petit discours reste assez révélateur des relations ambigües qu'entretient l'Argentine avec ses origines. Voilà une personne qui trouve en moi plus de lui même qu'en un indien partageant une partie de sa culture, de son histoire, et, bien sur, sa patrie.
C'est le problème universel de l'identité qui se retrouve ici. A la fois diluée dans une histoire complexe, elle s'affirme de manière très plurielle et, fort heureusement, rarement par le prisme du racisme ou du rejet. J'ai bien dis rarement, et non jamais. Comme partout, les préjugés persistent. Ici, les idées se développent très différemment qu'en Europe. La mémoire de la Shoa en est en exemple frappant. Il existe en Argentine, (comme au Chili peut-être, selon les écrits de Tudy), un étrange antisémitisme difficilement intelligible, entre discours étranges et opinions profondément nauséabondes. Une amie m'a confié avoir rencontré une fille adepte de Hitler et de la théorie de la solution finale. « Mais pas pour les juifs, pour les Boliviens... ». Sur Facebook, une photo d'elle embrassant « Mein Kempf ». Une autre personne me racontera aussi un dialogue avec une femme d'une cinquantaine d'années, se disant par ailleurs de gauche. "Ici les voleurs, tu les reconnais, ils sont bronzés, mais au Chili, tu ne peux pas les discerner." Comment comprendre? D'abord, en arrivant dans un pays, on embrasse une réalité infiniment plus vaste que celle dans laquelle chacun baigne dans son pays d'origine. Depuis sa naissance on évolue dans un cadre social et idéologique préconstruit par son éducation, les valeurs parentales, la localisation géographique de son habitat... En arrivant ailleurs, on a d'autres choix que de parler à tout le monde, et la diversité s'impose presque telle quelle, puisque les prédispositions sont nécessairement moins fortes. Personne ne vient nous dire qui est fréquentable ou non, quel parti politique n'est pas audible... Si peu à peu ce travail de filtrage du réel se fait, toute expérience ici doit nécessairement être relativisée.
Et l'Europe? Il existe des aprioris, bien sur, sur l'Europe. D'abord celui de la richesse. On tend à visualiser le vieux continent comme un lieu de richesse totale. On pense même parfois que la pauvreté n'y existe pas. On oublie aussi la prospérité passée de l'Argentine, quand, en 1945, l'Europe comptait ses morts. On me parle de la ségrégation Argentine comme si les banlieues Françaises étaient aussi fictives que la paupérisation, réelle, à laquelle notre pays fait face. Parfois, mais très rarement, il existe aussi un certain rejet. L'Europe jadis colonialiste est aujourd'hui, derrière les Etats-Unis, Europe impérialiste. Si ce discours demeure remarquablement minoritaire, il explique aussi les très et trop nombreux vols dont les étrangers sont victimes. On entend souvent, ici et là, les galères de certaines connaissances qui, du jour au lendemain, se retrouvent sans rien, la fenêtre de la chambre fracturée et tout les effets personnels volés. Évidemment, quand on nous demande le salaire moyen en France, convertis en Pesos... Mais c'est aussi oublier la différence des prix (quoi que relative: ici par exemple, tout ce qui est électronique est plus coûteux qu'en France, car souvent importé et taxé). Au final, dans le centre de Mendoza, le niveau de vie est plus ou moins identique à ce qu'on peut voir en France, dans les classes confortables (disons entre moyennes et aisées). La banlieue, bien sur, relève d'une problématique différente, les inégalités sont plus vastes, vraiment, qu'en France. L'Argentine ne connaît pas de pauvreté de masse. En revanche, le gouffre des inégalités est impressionnant. Il y a quelques jours, j'ai croisé une Suisse, qui se ballade de part le monde, et actuellement de part le continent. Elle est ici depuis 7 mois. Je demande comment elle finance tout ça. Elle répond que son salaire suffit. 25 ans, sans diplôme particulier, environ 45 heures par semaines et... 5000 dollars de paye mensuelle. Je la charrie un peu. Putain, quelle riche! Mais me voilà en train de commettre la même erreur que certains Argentins envers les Européens. Les prix en Suisse sont aussi plus élevés qu'en France. Bien sur, de manière globale, le pays est bien plus riche que l'hexagone, et les inégalités moindres. Elle m'affirme qu'avec 5000 dollars, parfois, là bas, les fins de mois sont difficiles. Le salaire n'est pas un indicateur à retenir. Allez, tout de même, pour faire baver nos amis les profs: en Suisse, un professeur gagne en moyenne entre 8000 et 10 000 dollars par mois. D'ailleurs, la chose est bien comprise; les Français limitrophes travaillant en Suisse gagnent moins, puisqu'ils dépensent essentiellement leurs salaires en France et selon des prix inférieurs.
Ici, en Argentine (ou l'art de passer du coq à l'âne), la grande interrogation, c'est la mondialisation. Entre danger et chance. Danger sur l'identité aussi, justement. Un Argentin m'expliquait que selon lui, la mondialisation est un risque essentiel pour la latinité, autant que pour l'identité européenne. Il faut donc protéger la belle et lisse perfection de l'Etat-Nation. L'idée y est puissante ici, on voit parfois en ce type d'État une « fin de l'histoire ». Le débat est lancé. Le problème aussi. L'État nation comme résistance à la mondialisation, c'est tout de même discutable. D'abord parce que l'idée de nation n'est pas universelle. En France, elle reste très attachée à la description de Renand (même si bon, ces derniers temps...), d'une volonté d'un avenir dans la reconnaissance d'un vouloir vivre ensemble. Et puis surtout, ce qui pose problème, c'est le concept de Mondialisation lui même. La petite gueguerre entre historiens pour savoir quand ce mouvement a commencé l'illustre bien. Au XVIième siècle en Hollande? En Grande Bretagne pendant la révolution industrielle? Avec la pensée des lumières et sa propagation? Et pourquoi la mondialisation ne serait-elle pas aussi vielle que l'homme, résultante de sa logique d'organisation sociale? On peut aussi penser que la mondialisation a commencé quand l'homme a compris le rôle essentiel de la femme dans la tribu. De nombreux travaux anthropologiques peuvent nous le laisser penser. A un moment donné, les hommes ont compris la nécessité « d'utiliser » la femme (désolé pour elle), afin de conclure des alliances ou accords de trocs avec les tribus voisines. La femme devenant élément d'échange, donc de mélange, l'humanité a commencé à sortir de sa logique de clan. C'est le premier pas de la mondialisation, la première cellule de l'entité actuelle. La suite de l'histoire n'est que l'extension de cette logique. On a longtemps cru que l'endogamie n'était due qu'a la compréhension des risques de la consanguinité. La majorité des Anthropologues réfutent aujourd'hui cela. Au contraire, le sang est souvent symbole de richesse si celui-ci est protégé de « l'extérieur ». La royauté Espagnole du 16ième siècle en a payée les frais, avec son lot de fous et de déformés. Non, l'endogamie n'est que le fruit du besoin d'échange de l'homme, et donc de son aptitude naturelle à vivre ensemble, plus par nécessité que par enthousiasme. Levi-Strauss a montré qu'une des règles universelles était l'interdiction de l'inceste, parce que cela risquait de peser sur la pérennité du groupe. Les bases de la mondialisation sont jetées. Je vous l'accorde, la finance viendra plus tard (quoi que).
En couplant cela avec le problème de l'identité, débat majeur de nos actualités, on comprend bien la problématique de l'État-Nation à long terme. Sans aller jusqu'à prédire sa disparition, comme l'a fait notre star nationale Godelier, il paraît clair que la logique d'appartenance naturelle s'effondre. On ne peut pas réfléchir ainsi, de manière systématique, pour se prononcer sur la légitimité ou non de la possession d'une terre au seul regard de l'histoire. Il faut trouver autre chose. Parce que l'argument de l'histoire ne peut que se retourner éternellement contre celui qui l'énonce. Le Tibet doit être libre, parce qu'il a été souverain avant l'invasion de la Chine... Oui, mais rien n'empêche un opposant à cette idée pourtant hautement légitime de rappeler que le Tibet n'a été libre qu'une cinquantaine d'année, avant quoi il était une partie intégrante du royaume de Chine, avant quoi il ne l'était plus, avant quoi il l'était, avant quoi... On peut faire le même petit jeu un peu partout, et dans la mesure ou nous venons tous du croissant fertile, le débat demeurera intarissable. C'est aussi en cela que l'idée de volonté partagée, de rêve commun, de projet de société, reste très importante pour la pérennité et la légitimité de l'État. Toute référence à l'ethnie, au sang, et à l'histoire est limitée. L'histoire ne sert plus qu'à expliquer l'émergence et la consolidation de cette volonté.

Trêve de conneries et de discussions sans intérêt, revenons un peu à l'Argentine, et à cette petite année. Il est difficile parfois de réaliser qu'on sait qu'on y trouve des souvenirs sur lesquels, un jour, on se retournera avec nostalgie. Le voyage, une parenthèse?
On y reste pas. On ne construit rien. J'ai beau voir des gens, parler, rire, débattre, partager ou garder... Au final, quand je partirai, je laisserai tout derrière moi, clôturant une parenthèse qui ne sera jamais rien d'autre. C'est, je pense, une chose importante à garder à l'esprit. C'est quelque chose de particulier, parce que nous connaissons l'échéance de « l'expérience » avant même que celle-ci n'est été commencée. Et pourtant, je ne peux pas prétendre vivre un rêve duquel on se réveille en douceur, avant de se servir un petit café. Bon, bien sur, il y a la langue. C'est toujours ça de pris, ou d'appris. Mais la langue n'est pas pour moi l'intérêt premier de cette année d'étude. Loin de là même. C'est aussi un facteur de frustration. On pense devenir bilingue après trois mois. C'est faux. Il y a beaucoup de Français, et je n'aurai pas la lâcheté de dire que ça m'agace, puisque c'est aussi une source de confort, à double tranchant. Mais c'est surtout qu'une langue, qu'on le veuille ou non, ça ne s'apprend pas en trois mois. Être bilingue, c'est rêver, penser, de manière naturelle, en passant spontanément d'une langue à une autre sans même s'en rendre compte. Des scientifiques américains ont démontré que le cerveau prenait au minimum cinq ans pour faire ce travail de traduction interne totalement. Bien sur, on peut rapidement tout dire, et tout comprendre si l'interlocuteur parle distinctement. Mais de là à être bilingue, à s'insérer dans une culture linguistique... Dans mon groupe de Cinéma, j'ai deux amies que je comprends très bien, sans forcer. C'est agréable. En revanche, il y en a autre avec lequel j'éprouve de grandes difficultés. Et pour cause, il parle aussi mal castillan que moi je parle Français. C'est-à-dire vite, en mâchant les mots. C'est un murmure rapide et franchement inaudible. Mais le plus frustrant, ce n'est pas ça. C'est d'abord de savoir qu'une langue se perd très vite. En discutant avec des étudiants qui effectuent une seconde année en pays hispanophone, j'ai appris que la langue se perd en quelques mois... Même si on la retrouve très vite en quelques jours de retour en immersion. La langue, quand elle n'est plus utilisée, change de « case » dans le cerveau. Elle est mise dans le grenier, et n'y sortira que si l'esprit ressent le besoin de la ressortir de là. Mais ce qui me trouble le plus, c'est surtout le rapport à la langue. Un langage, c'est la vie. C'est les idées, les sentiments. C'est la complexité aussi. Les théories, les pensées.
En parlant avec une Allemande, étudiante en linguistique, je me suis subitement rendu compte de la gravité de ce sujet.
Petit exercice pour expliquer tout ceci. Prenez une langue que vous ne maîtrisez pas totalement. Et imaginez vous devoir faire un discours. Vous voulez expliquer que votre vision de l'art ne s'appuie pas sur une analyse purement technique, mais que vous cherchez dans l'art une impression floue qui se relaie certes par la technique, mais qui trouve sa force seulement si celle-ci n'existe pas que pour elle même. La technique au seul service de la technique ne peut être fertile, car en ayant elle même pour objet, elle se déconnecte seule de l'observateur, qui lui seul possède l'impression. La technique doit donc être un simple élément qui servira à l'observateur de ressentir ce qui préexiste en lui. C'est donc qu'une œuvre n'exprime rien. C'est l'observateur qui lui donne un sens, en se reflétant lui même dans l'objet.
Bon, bien sur, ce petit exemple n'a pas de sens, hein! Ce serait une insulte aux parnassiens de « l'art pour l'art », et le mec qui dirait que Théophile Gautier est un abruti paraîtrait un peu étrange.
Mais voilà! Imaginez vous devoir expliquer ceci dans une autre langue que vous ne maîtrisez pas parfaitement. Je vous jure que vous y arriverez. Par approximations, en joignant le geste à la langue, avec vos expressions du visage. En piochant dans votre vocabulaire restreint des mots proches mais qui ne correspondent pas totalement au registre de votre propos.
Vous y arriverez, mais vous resterez frustré, parce que l'idée que vous vouliez émettre n'est plus qu'une diarrhée mentale informe dans laquelle on tire mille fois moins de choses que dans l'idée telle qu'elle préexistait dans vos pensées. Du bel objet de votre pensée ne reste plus qu'une masse floue.
Combien d'années sont nécessaires pour pouvoir transmettre un discours ayant, une fois émis, la même complexité que lorsqu'il préexistait dans votre crâne? Même en Français, il est très difficile, surtout spontanément, de fluidifier et de restituer la richesse de la pensée. On se contente donc de simplifier le tout et de servir la ratatouille.
Si le Français venait à disparaître, rendez-vous compte combien d'idées, de pensées, de réflexions audacieuses et peut-être révolutionnaires seraient perdues simplement parce que ceux qui les possèdent ne pourraient plus fidèlement les restituer? C'est justement ce sur quoi travaille cette Allemande. Comment protéger les langues dites minoritaires? C'est ici un des défis premiers de la mondialisation. En effet, elle ne sera bénéfique que si elle rime avec diversité.
Il faut continuer à apprendre les langues et à traduire les œuvres. Et vite. En France, dans l'enseignement supérieur, on lit trop de textes en anglais parce que les articles ne sont pas traduits, ou trop lentement (parfois, on attend plus de dix ans!). Ils restent donc sous le monopole des quelques étudiants privilégiés qui maîtrisent la langue, dans les couloirs des IEP, ENS, écoles d'ingénieurs et autres. Il faut que les Anglophones, eux aussi, traduisent nos textes. Il faut défendre la plus belle des créations de l'intelligence et de la raison de l'homme. Ses langues. A l'heure ou les débouchés littéraires manquent, il est grand temps de soutenir la création humaine.
Mais alors attendez, ne serait-il pas plus simple de parler une seule langue, universelle, que tout le monde maitriserait parfaitement? Tout serait plus rapide! Les idées circuleraient à grande vitesse!
Seulement voilà, la langue est un esprit. Elle modèle la pensée. Il y a des choses que nous ne pourrons jamais fidèlement traduire.
Dans « 1984 », Orwell pose une idée simple, mais absolument extraordinaire. Si l'on supprimait certains mots d'une langue, l'homme serait-il capable, intuitivement, de ressentir le signifié? (En linguistique, le signifiant est le mot, et le signifié ce à quoi il se rapporte). Pourrais-je ressentir la liberté si je ne connaissais pas le mot? Pourrais-je ressentir l'équité? Pour Orwell, non. Imaginez un monde ou le mot « liberté » n'existe pas. Ou on ne l'entend jamais à l'école. Ou les nos parents ne nous l'apprennent jamais, eux même l'ignorant.
Chaque langue construit sa manière de raisonner. L'anglais est très descriptif. Le Français très métaphorique. Un professeur d'Anglais me racontait il y a deux ans qu'il préférait lire les philosophes Français en Français que dans leurs traductions Anglaises. Le sens ne peut jamais totalement survivre à la traduction. A bien y réfléchir, on remarque d'ailleurs que la philosophie Anglaise est à l'image de la langue. Descriptive et technique. Très pratique. (Hobbes, Locke...). Les philosophes Anglais sont longtemps restés assez indifférents à la métaphysique, parce que la langue ne correspond que peu au sujet. Et l'inverse est aussi vrai. Bien sur, de nos jours, avec la traduction justement, c'est bien moins le cas. La mondialisation des langues et des idées a permis aux pensées de se décloisonner.
Les esquimaux ont plus de cinquante mots pour désigner la neige. Selon sa solidité, sa couleur, sa résistance. C'est une découverte Anthropologique qui ne date pas d'hier, mais une trouvaille de premier plan. Les esquimaux ne perçoivent donc pas l'environnement comme un Malien. Là ou le Malien voit du blanc, l'esquimau voit plusieurs neiges. Il faut préserver les langues. En apprendre, sans jamais en oublier. Plus il y en aura, plus on les apprendra et les traduira, plus on pourra manipuler des idées riches et complexes. Et ce, sans même parler de littérature. Le rapport entre les langues en littérature est encore différent. Par exemple, on sait maintenant que la traduction de Edgar Allan Poe par Baudelaire est mauvaise, approximative, et parfois erronée. Pourtant, jamais elle n'a été retravaillée, parce que Baudelaire en traduisant le texte a réussi, à ses dépends, à recréer une atmosphère et une âme. Ultime paradoxe, ces dernières années, des traducteurs ont « retraduit cette traduction »... en Anglais!

Ce petit appel étant fait, je peux vous raconter l'issue des fameuses élections étudiantes et notre petit voyage dans la belle « valle de la luna », ces derniers Vendredi, Samedi et Dimanche.
Les étudiants ici, vous le savez, sont très mobilisés par le débat politique. Une petite dizaine de partis, aux différences parfois minimes, se querellent ce mardi 19 octobre dans les urnes. La fac est en ébullition. La veille, les derniers tracts et les derniers discours. Dans la classe d'Idées Politiques de l'Amérique Latine, ils défilent à tour de rôle. Le cours ne durera que quelques minutes, hachées par les multiples interventions.
Le soleil se couche sur le campus. Assis sur un petit muret en pierre, on discute avec une argentine qui nous explique les nuances entre les différents partis. C'est loin d'être évident. Vient le moment du dépouillement, qui durera plus de 3 heures. Nous rentrons dans le hall, pour assister à ce spectacle surprenant. Une foule compacte remplit l'espace, agglutinée autour du tableau sur lequel on inscrit en temps réel les résultats. Impossible de saisir ce que me crie ma voisine. Les chants partisans, les tambours qui ne cessent de vibrer rend l'atmosphère électrique. Et des drapeaux partout, rouges, avec la faucille et le marteau. Bleus, avec le visage d'Eva Peron, Jaunes, Violets... On jette en l'air les tracts restant, après les avoir découpés en petits morceaux. Le sol disparaît sous les débris. Des bouteilles de vin circulent. Dehors, des étudiants allument de petits feux d'artifices. C'est un bordel immense. J'ai du mal à imaginer le nettoyage à venir. Loin du calme de l'enseignement supérieur Français, dans cette petite fac de sciences politiques et sociales, on a l'impression de jouer le destin du monde. La vigueur Argentine m'impressionne. Une fois de plus, je suis sous le charme.
Vite, un rapport de force se dessine. La Walsh, les péronnistes, sont au coude à coude avec la Franja Morada, démocrates-sociaux, et parti le plus «à droite ». L'ensemble des militants, tout partis confondus, chante en cœur des insultes contre ses derniers. La victoire sera péronniste, la Walsh devenant le premier parti de la faculté. Le vainqueur de l'an passé, DALE, est battu. Les rumeurs concernant leurs relatifs soutiens à la tentative du coup d'état en Équateur, démenties, les ont desservi.
Le soir, j'accompagne une amie au siège de la Franja Morada, en ville, dans les locaux du Parti Radical National. On y fête la défaite. L'ambiance n'y est pas. On mâche ses regrets. Dans une salle, je vois une dizaine de militants, abattus, allongés par terre en silence. A trop y croire...
Le lendemain, mes amies de la Walsh sont resplendissantes. Le malheur des uns... Le hall est comme neuf, et les affiches aux murs ont disparu.

La semaine passe doucement, les partiels s'enchaînent et les cours aussi. Souvent soporifiques, avec des profs vraiment accessibles et sympathiques, parfois avec de vrais enfoirés. Et le vendredi matin, nous prenons le bus pour la « valle de la luna ».
Deux heures pour gagner San Juan, puis quatre heures pour San Augustin de Valle Fertil, une ville de 4200 habitants à une heure du parc national, reconnu patrimoine mondial par l'UNESCO.
Notre petit groupe de Français, Mexicain, Allemand et Espagnol débarque dans la petite ville. Le goudron est usé ou absent, les maisons sales et poussiéreuses. Certaines sont détruites. Les petits magasins sont étrangement vides. On y trouve pas grand chose. Le décalage avec le faste de Mendoza est saisissant. Oui, l'Argentine est terre de contraste. Entre la capitale provinciale semblable aux grandes villes européennes, et ses petites villes pareilles à celles qu'on voit dans les reportages, ou un baroudeur moderne nous entraîne dans ses voyages exotiques.
Le lendemain, je me promène au hasard des rues, histoire de mieux constater l'étendue des inégalités qu'affronte l'Argentine. A mon retour dans l'auberge, nous partons pour le parc. Une heure de route dans un désert. Je discute un peu avec le chauffeur, de la corruption des politiques et du péronnisme (décidément). Ce parc est une usine à touristes. On y pénètre qu'en voiture, en suivant celle du guide, selon un itinéraire strict, avec cinq arrêts pour approcher les sites remarquables. On paye cher l'entrée, 35 pesos pour les résidents (nous), 70 pour les touristes. Reste que le paysage est d'une beauté incroyable, d'une sécheresse totale, d'une étendue vertigineuse. Un dépaysement total, entre collines érodées d'une étrange blancheur, entourées de hauts plateaux de terre rouge. Une autre planète. On marche sur la lune, sous un soleil de plomb. Une fois encore, je reste émerveillé par ces lieux inédits, loin des paysages Français. Je savoure ce petit goût de lointain.
Le soir, nous décidons d'aller dans l'unique « boite » de la petite ville. La clientèle est populaire, en tout cas plus qu'a Mendoza, et nous faisons figure de curiosité. Les filles dansent, et les mecs ne cessent de venir nous demander l'autorisation de faire quelques pas avec elles. Je bouillonne. Ça m'énerve. Je ne suis pas habitué à ce qu'on viennent me demander ça, moi qui ne suis personne pour décider à leurs places. Ici encore, la différence de perception est nette. Ce qui est ici signe de politesse et de respect des habitudes (je n'irai pas jusqu'à dire des coutumes), peut être en France considéré comme un comportement un peu machiste, envers les « femmes chasses gardées ». Au début, je pensais qu'on me demandait juste si je n'étais pas le compagnon d'une d'elle. Mais en réalité non, on m'a demandé à 4 reprises la « permission ». Après avoir fait le con quelques minutes sur la piste, faute de savoir danser, je m'en vais boire une bière. A cinq heures, l'établissement ferme ses portes. Nous rentrons en stop, écrabouillés à 7 dans la voiture. Une soirée rafraichissante se termine.
Le lendemain, nous regagnons Mendoza, avec de belles images en têtes et de beaux moments au cœur. En arrivant à San Juan, nous remarquons que le fast-food dans lequel nous avions mangé la veille est fermé administrativement pour raisons sanitaires. Je suis toujours vivant.

Ici, la vie continue. De petits rituels agréables se mettent en place. Par exemple, celui du cycle de ciné. L'idée de quelques étudiants étrangers. Une fois par semaine, on se retrouve dans une maison, avec quelques bières et des trucs à picorer, pour regarder un film provenant à chaque fois d'un pays étranger, proposé par un étudiant en Intercambio. Façon originale de présenter sa terre natale. Des moments sympas à chaque fois, dans un petit espace rempli de diversité.

La vie continue, mais parfois s'arrête. C'est le cas aujourd'hui, ce mercredi 27 octobre. Jour de recensement. Interdiction de travailler. On reste chez soi pour attendre le recenseur. Tout est fermé, et la ville est étrangement silencieuse. Sauf en bas de chez moi. Une foule est amassée, drapeaux en main. Visage de Péron et de Evita partout. Le cortège est silencieux. Nestor Kirchner, ex président et mari de l'actuelle chef d'État est mort. Lui qui se voulait candidat péronniste en 2011... La suite s'annonce plus compliquée que prévu, et les conflits de succession se profilent à l'horizon. Et la revoilà, cette Argentine scindée en deux. Certains murmuraient que Kirchner ne passerait pas. La corruption agace. Le manque de transparence aussi. Le deuil national est moins puissant que je l'aurais pensé. Le lendemain, mis à part quelques affiches de remerciement aux murs, la mort de l'ex leader est discrète. Il était pourtant populaire.

Et au milieu de tout ça, je commence à préparer mon petit voyage en Pérou et en Bolivie. Monter jusqu'au nord de l'Argentine, passer la frontière. Aller vers La Paz, puis de là, gagner Lima. On en reparlera.

Les argentins ne sont pas spécialement au courant des petites nouvelles du monde. Mais cette fois, l'écho des manifestations Françaises et des pénuries de carburant ont gagné ce grand pays. J'assiste à ce débat de l'extérieur. Dernièrement, je mangeais avec une amie Française dans la cuisine de l'hôtel ou elle vit. On nous appelle. « Venez voir à la télé, vite, c'est la France! ». Le ton est pressant. Je me demande ce qu'il se passe. Ce n'était qu'un reportage sur les blocages de raffineries. Les Argentins sont impressionnés. Habitués à manifester, bloquer les raffineries n'est pas dans leurs habitudes. En même temps, dans un pays sans chemin de fer, ce serait le chaos.

Le débat sur les retraites me gêne. Je le trouve d'une complexité abyssale. D'abord, comment croire qu'une réforme s'impose dans sa forme, comme s'il n'existait qu'une seule solution. N'importe quelle étude de politique publique souligne que « l'obligation » n'existe pas. Il n'y a jamais une seule réforme applicable. Tout acte politique est le fruit d'une idéologie, d'une manière de voir le monde et la réalité. C'est ce qu'on appelle un référentiel. Mais une réforme, c'est surtout le produit d'une lutte interne, d'influence et de pouvoir au sein même de l'administration. Non, rien ne s'impose jamais. Et c'est mentir de dire que seule cette réforme est possible. Une réforme, c'est toujours un petit peu d'idéologie. La politique purement pragmatique n'existe pas.
En revanche, il ne faut pas tout confondre, cette réforme n'est pas un « coup d'État de la majorité présidentielle ». On ne peut pas reprocher au président de faire une réforme initialement non comprise dans le programme présidentiel. Cela reviendrait à supposer que la réalité économique au moment de l'élection est nécessairement appelée à rester la même les cinq années durant. C'est faux, il est normal, et heureux, que l'exécutif est une marge de manœuvre plus vaste que celle donnée par son seul programme de campagne, inscrit dans un contexte qui ne peut nécessairement rester le même. Néanmoins, on trouve aussi ici les limites de la communication présidentielle. Tout n'est pas possible, que l'on soit ensemble ou non, et en affirmant qu'il ferait tout ce qu'il promettait, Sarkozy a lui même délégitimé de sa propre action. C'était une abération politique d'une triste logique communicationnelle. De la même manière, faire passer la réforme par un vote bloqué au sénat n'a rien d'un coup de force... Cela étant possible au regard de la constitution, ce n'est pas un argument pour exiger le retrait. Ou alors, c'est la constitution qu'il faut amender.
Mais le problème réel, n'est pas là. C'est ce décalage, préoccupant, que l'on retrouve entre le peuple et ses représentants. Comme durant le vote de la constitution européenne, il semble bien que les députés ne réfléchissent pas selon les mêmes paradigmes que leurs électeurs (à condition que la majorité des Français soit contre la réforme, ce qu'indiquent les sondages). D'où la question, éternelle: Dans quelle condition la rue a t-elle un rôle démocratique, et ou est la limite entre l'expression d'un droit et un coup de force désobligeant? C'est aussi la question de la démocratie elle-même. Vote-on pour voir nos idées représentées, ou vote-on pour envoyer des spécialistes qualifiés, expérimentés, professionnels, trouver des solutions à des problèmes que le citoyen lambda n'est pas en mesure de résoudre?
Impossible d'y répondre pour ma part, je n'ai pas cette prétention. Mais toutefois, certaines choses restent à souligner. D'abord le rôle toujours indispensable de l'éducation. C'est le seul et unique moyen de permettre un vote cohérent avec sa pensée individuelle. Moins l'homme est instruit, plus il délègue son pouvoir de gouverner. Ce fossé entre le peuple et son élite est problématique, parce que c'est la nature même de la démocratie qui est remise en question. C'est aussi en cela que l'acte de manifestation est pleinement légitime. Une démocratie ne se résume pas au système institutionnel. Qu'une mobilisation oblige matériellement un gouvernement à faire marche arrière est une chose heureuse dans une démocratie. Le peuple doit toujours être en mesure d'imposer son opinion. Mais s'il se trompe? S'il est dans l'erreur? N'est-il alors pas mieux qu'un gouvernement s'entête, justement au nom du bien des représentés? Ici encore, la seule chose à souligner est le rôle de l'école et de la raison, seuls remparts contre l'erreur de masse, même si aucun rempart ne peut garantir cette totale sécurité. Alors l'opinion aura raison d'avoir tord, pour reprendre je ne sais plus qui. A elle alors d'assumer ses choix, sa responsabilité surplombant alors celle de son gouvernement. C'est cruel, mais c'est le prix de la démocratie.
En ce qui concerne la question des retraites, les manifestations ont le mérite de promouvoir des alternatives, et donc un débat. En cela elles sont saines. La seule véritable issue serait désormais le lancement d'une discussion ouverte, paritaire et nationale, s'ouvrant sur un référendum final. On ne peut pas user à tord et à travers de cette procédure. Mais elle me semble ici justifiée.

On nous parle de pénibilité, mais comment peut-on la mesurer? Je veux dire, si on peut partir à la retraite à 60 ans moyennant X% d'incapacité, comment peut on déterminer ce qu'est « X% d'incapacité ». A 60 ans, il est normal d'être X% moins productif qu'a 30 ans. Alors, comment faire? Selon quelles logiques et quelles grilles de lecture? Personne n'en dit rien, et cet élément de la réforme actuelle me semble être une vaste supercherie. Dans les faits soit elle profite à tous (à 60 ans, il est normal d'avoir X% d'incapacité, comparé à ses 30 ans), soit à personne (si on mesure ces X% par rapport à ce qu'on attend d'une personne de 60 ans, ce qui est difficilement envisageable). Je ne crois pas tellement à l'idée de pénibilité. Elle est difficile à mettre en place, et ouvrira de toute manière sur de nouveaux débats interminables (impact du stress sur la santé, suspicion de privilégier certains...).
Ensuite, et de manière plus problématique, il est évident que le mécontentement hexagonal est la conséquence d'un tout, d'une usure du sarkozysme, et d'une réaction aux derniers évènements. La France était une cocotte minute. Il y a dans tout peuple une phase d'acceptation, qui dure plus ou moins longtemps selon divers déterminants. Aujourd'hui, cette phase est terminée. Ces grèves sont bien sur autant contre le pouvoir que contre la réforme. En ce sens encore, elles sont totalement démocratiques. Il y a eu assez d'attaques contre les bases idéologiques de notre système pour justifier la situation. Bien sur, il y a ceux qui ne manifestent pas. Ceux qui « souffrent » des mouvements sociaux. Mais on ne peut taire qu'une démocratie est aussi un rapport de force constant, ou chaque acteur tente de grossir son rôle respectif. C'est le jeu de la démocratie, et le but de l'élection est justement de réguler ce rapport de force, en plaçant les urnes devant les armes. Elles permettent l'équilibre entre la légitimité de la rue et celle du pouvoir institué. Et jusqu'à preuve du contraire, cet équilibre, qui penche alternativement d'un coté ou d'un autre, n'est en France pas brisé.

Oui, il faut réformer les retraites. Pour l'avenir. Aussi pour conserver notre bonne cote auprès des agences de notations, ce triple A qui nous permet un endettement peu coûteux. C'est essentiel. Mais ce débat doit aussi embrasser les premiers concernés, à savoir les travailleurs et les jeunes. Et s'il y a des efforts à faire, on est en droit d'attendre que tous aient à le supporter équitablement. La suppression du bouclier fiscal, et la taxation des plus hauts revenus est chose nécessaire. D'abord parce qu'il n'ont jamais été aussi privilégié dans notre toute récente histoire, ensuite parce qu'un impôt ne doit pas être progressif selon les revenus, mais égalitaire au regard du coût réel du « don à l'État » sur le niveau de vie. Un homme gagnant 1000 euros et donnant 100 euros d'impôts en souffrira infiniment plus qu'un qui gagne 100 000 euros et donnant 10 000 à l'État. Pourtant le ratio est le même. La vraie égalité est celle du coût réel de l'impôt sur la vie quotidienne.

En regardant le zapping de canal, je suis tombé sur un philosophe qui, je crois, à bien compris l'essence de malaise actuel. Il soulignait l'importance du temps et du vivre. « Le rythme humain n'est pas celui d'une machine. Il ne faut pas vivre dans cet état constant de panique, ou le réflexe vient remplacer la réflexion ».

vendredi 15 octobre 2010

Dixiéme entrée. Du 30 septembre au 15 octobre.



Pas de nouvelles, bonnes nouvelles? Peut-être, mais c'est surtout que le temps me manque, en ce moment, pour tenir mon journal avec assiduité. Qu'importe, il continue à vivre, au milieu des révisions et des examens qui me prennent par surprise, et dont, vraiment, je ne connais pas l'issue... Je stresserai plus tard, c'est certain.
S'il y a une chose qui monopolise un peu mon esprit depuis que je suis ici, c'est bien le rapport de l'étranger à son environnement. Comprendre comment se construit l'autre, à travers le prisme déformé par des cultures différentes. Mais avant de continuer, je dois aussi reconnaître une de mes erreurs. Je vous parle des « Argentins » depuis le début. Je me rends désormais compte combien ce vocable est irréaliste et prétentieux. Mais ce n'est pas ma faute! Un peu aveugle, j'avais oublié la grandeur de mon pays d'accueil. J'ai toujours vécu en France, dans ma petite France. Qu'on le veuille ou non, relativement, notre hexagone est bien minuscule comparé à la taille vertigineuse de l'Argentine. Qu'on le veuille ou non, et malgré nos ridicules guerres régionales, le Marseillais ne diffère pas tellement d'un Parisien. En Argentine, tout est plus grand. Faire 5 heures de bus pour aller à quelques kilomètres de Mendoza, c'est un peu comme aller à une heure de Paris en train. Du moins, c'est vécu de la même manière. L'Argentine est un grand vide. On y retrouve la vieille thématique du « Buenos Aires et le désert Argentin » pour reprendre le titre du bouquin du géographe Gravier (bon, de 1972, mais quand même). L'accent entre Rosario, Buenos Aires et Mendoza n'est pas le même. Mais les comportements diffèrent aussi. Le maté n'est pas la boisson nationale en vérité. Il ne se consomme que dans le nord du pays, au Pérou et en Bolivie. Pas dans le sud, près de Bariloche, par exemple. Je dois donc cesser de parler des Argentins, mais des Mendocinos, et encore, seulement de ceux que je croise.
Clairement, Mendoza est une région conservatrice. L'Église y est encore bien présente, et l'on me dit que les femmes de Buenos Aires ou de Cordoba sont plus libérées. Mendoza, ne l'oublions pas, s'élève au beau milieu d'un désert. Bien sur, j'exagère, et ma petite démonstration ne résiste pas une seconde à l'épreuve empirique. La France est aussi un joyau de diversité et de complexité, et l'on y dessine facilement la carte des influences électorales. C'est ici l'illustration d'une difficulté inhérente à l'observateur. En arrivant dans un pays inconnu, on ne peut que généraliser ses observations à travers un nombre limité de constatations. J'ai vu dans les Mendocinos l'image de l'Argentine parce que je n'en connais presque rien d'autre. Ce Mea Culpa étant fait, je peux continuer sur ma petite réflexion du « S'il te plait, dessine moi un étranger ». Pour illustrer cet instant de branlette intellectuelle, laissez moi vous raconter ce petit cours d'Anthropologie. Comme vous le savez, dans mon groupe de travail se trouve Facundo, trentenaire sympathique et souriant, toujours très fier de souligner la diversité de ses « collègues de travail ». S'y trouve en effet une Brésilienne, une autre Française en plus de moi, et deux Argentins (dont Facundo). Bref. Le travail, un peu bébête, était de réfléchir à un comportement social que nous pouvions analyser comme un rite, selon la définition anthropologique que dans ma grande mansuétude je vous épargnerai. On cherche. Facundo nous demande s'il existe des comportements s'assimilant à des rites en France. Content de ma blague à venir, je balance « Le vin et le fromage ». C'est alors que tous se sont rués sur nous pour nous poser un déluge de questions: « c'est vrai? Il existe combien de fromage en France? Vous le manger quand? Il y a une manière spéciale de le consommer? Cela signifie quoi? » Ils étaient tellement contents de voir en nous un aspect typique, conforme aux idées, que j'avais de la peine à expliquer que ce n'était pas vrai, et que la France est second pays au monde, derrière les États Unis, en terme de rentabilité pour... Macdonald. Pire, j'avais même une petite tristesse de détruire ce petit mythe qui leurs faisait tant plaisir... Allez, je coupe la poire en deux. Ce n'est pas un rituel, c'est un coutume, voilà! Au moment de passer à l'oral, Facundo expose notre réflexion. Nous avons, bien sur, choisi le maté comme exemple de « rite social ». Il tient quand même à dire à tout le monde qu'en France, le vin et le fromage, c'est un rite. Et merde. Comme un con, me voilà responsable de la perpétuation d'un cliché. Ayant du mal à parler à cause d'un rire difficilement maitrisable, on réussit tout de même à nuancer, en expliquant à tous que le fromage et le vin, c'est plutôt une coutume. Pauline aussi a bien rit. Elle imaginait la scène de toute la petite famille Française vêtue en habit de cérémonie et dansant autour du fromage sacré, traditionnellement tranché par le père de famille dans un silence religieux.
L'étranger se dessine toujours selon des stéréotypes qui résistent mieux à la mondialisation que la réalité elle même. Je me souviens être tombé un jour, en France, sur une chaine documentaire ou chaque semaine un pays était visité par un charmant journaliste-aventurier parcourant les routes. Cette fois on y présentait la France. Le commentateur expliquait qu'en France, c'était chose traditionnelle de retourner son assiette de soupe pour y poser le fromage. L'image montrait de bons Français, habillés dans la mode des années 40, en train de rire en retournant l'assiette pour y poser le fromage. Le tout dans un corps de ferme, bien sur. Quelqu'un a déjà vu ça? Méfiez vous des émissions « culturelles » qui présentent les pays dans leurs belles traditions mortes depuis 50 ans. Donc, si je vois une émission sur le voile intégral, je saurais maintenant que ce n'est pas systématique de toutes les musulmanes! Transition tirée par les cheveux pour vous raconter la chose la plus dingue que j'ai pu voir dans cette université. Toujours en Anthropologie, nous parlions de la Théorie de Balandier, notre anthropologue national aux cotés de l'éternel et regretté Levi-Strauss. Il étudie les mécanismes de soumission. Pour lui, le vrai pouvoir ne provient pas de la contrainte mais de l'acceptation. Si la démocratie Française a tant duré, ce n'est pas parce qu'on m'oblige, arme au poing, de donner mon pouvoir de gouverner par le vote, mais parce que j'accepte de le donner et d'être représenté. C'est considéré pour moi comme normal, donc légitime. Le système fonctionne et se perpétue. Pour illustrer cette théorie de Balandier, faite sur l'observation d'une communauté d'Australie composé d'une cinquantaine de personnes, on nous diffuse un « film » magnifiquement intitulé « Les horreurs de l'Islam ». Ça sent le roussi. La vidéo en question, réalisée de manière plus qu'amateur vient de Youtube, internationalement connu comme référence pédagogique. La vidéo en question n'est pas extraite d'un reportage ou quoi que ce soit, mais n'est rien d'autre que la création d'un illustre inconnu. On y apprend que l'Islam voile les femmes parce que celles ci l'acceptent. On y apprend qu'en occident, elles sont presque toutes voilées par la burqua, même à la piscine. Et voilà, l'amalgame est fait. Lisez le Coran, et trouvez moi une seule phrase qui stipule que les femmes doivent se voiler. Cela n'existe pas. Le voile existait avant l'Islam dans l'Arabie pré-islamique, quand dans les tribus Bédouines, la femme n'avait presque aucun pouvoir; et le Coran a considérablement, à l'époque, amélioré le sort des femmes en limitant la légitimité de la lapidation. Acte non encadré par la loi avant les écrits de Mahomet, la lapidation n'existe pas dans le Coran. Il n'en fait jamais mention. Pour trouver un document en faisant référence, il faut se tourner vers les hadits (qui ont force juridique). Mais dans ces textes, cela n'est possible que quand un fait d'adultère est avéré par 4 témoins directs. En gros, il faut qu'une femme est la mauvaise idée de s'engager dans une partouze avec quatre balances. C'était à l'époque une manière de protéger les femmes, en encadrant l'acte de la lapidation dans un cadre légal quasi impossible à concrétiser. Maintenant, que les Hadiths n'aient pas évolués est un autre problème. Quand au voile, le film mélange tout. Entre images et textes absolument terribles (en Iran, on coupe toute partie du corps qui dépasse du voile, mais tapez donc Téhéran sur « Google image » et voyez le nombre de femmes ne portant pas le voile intégral... Ça en ferait des mains à trancher). Rajoutez à cette vidéo une musique d'une grande niaiserie et vous obtiendrez la séquence la plus surréaliste de ma vie. Je suis à l'université, en Anthropologie, et l'on me montre ça. Tout ceci vaut mieux qu'un long discours: http://www.youtube.com/watch?v=lxlTXJFYPt8 (vous DEVEZ regarder pour comprendre).
Comment comprendre ça? C'est que l'Islam est absolument inexistant ici. Ils ne savent pas ce qu'est un musulman, ils n'en ont pour la plupart jamais vu un seul. Leurs seules bases de connaissances sont de telles vidéos, regardées et assimilées de la sorte. Venant d'un enseignant, c'est là le problème immense. Les filles de la classe étaient horrifiées. Restait nous, les Européens, Allemands, Français, qui connaissions le problème mieux que tout les autres réunis. Que faire? Personne n'est intervenu. Qui nous aurait compris, dans notre Castillan fragile? Je me suis contenté de faire le con, assis au premier rang, en allumant mon briquet et en le faisant bouger au rythme de la chanson. Beaucoup on rit, mais n'y on vu qu'un délire idiot. La prof m'a fusillé du regard. Nous sommes partis dégoutés. Mais aussi dérangés. Profondément. L'ignorance régnant dans l'esprit des enseignants-anthropologues est révoltant. Déjà, comment utiliser une vulgaire vidéo Youtube comme support de cours? Et finalement, si nous étions intervenus, pourquoi ne nous aurions-nous pas rétorqué que notre désaccord n'était qu'un signe d'un relativisme culturel contraire au féminisme? Au fond, bien sur que le voile intégral nous choque, nous et notre éducation. Mais toujours nous refuserons de l'assimiler à l'Islam, simplement parce que c'est faux. Mettez en parallèle cette vidéo et sa réception avec mon histoire sur les fromages et le vin... Vous voyez ou je veux en venir. On construit l'autre sur ce qu'on en voit, ou perçoit. Le plus désolant est de jeter un coup d'œil sur les autres vidéos postées par la personne qui a mis celle-ci en ligne. On y comprend alors la nature de sa pensée, profondément, très profondément islamophobe. Dernièrement, notre propriétaire nous demandait si nous connaissions des étudiants étrangers noirs ou asiatiques. Nous répondions que non, que nous n'en avions presque pas vu ici. Elle nous dit alors qu'ils sont pour elle une « grande curiosité ». Ce sont bien sur des mots qui choquent, mais des mots très paradoxaux. C'était pour elle un signe d'ouverture, d'envie de connaître, de voir. Ce n'est pas une altérité basée sur la peur ou le rejet, au contraire. Mais en voulant connaître l'inconnu, on finit par voir en l'autre une « curiosité » déshumanisante. Et c'est ici un jugement très européen. On ne saurait, sur les critères culturels argentins, qualifier notre propriétaire de « raciste ».
En cela, il est difficile de comprendre mon environnement, autant que de partager avec ses acteurs cette difficulté. Il n'y a pas longtemps, j'étais avec des amies pour manger un Asado et bosser un exercice de ciné. La discussion dérive sur la manière d'appréhender un nouveau pays (j'encourageais mes amies à faire une année en « Intercambio »). On me demande si c'est difficile psychologiquement. Je réponds que le plus dur, c'est de comprendre des codes sociaux différents que ceux auxquels nous sommes accoutumés. On me demande un exemple. Merde. Je parle donc de ce rapport étrange, à Mendoza, entre la gente féminine et la gente masculine. Sans me répondre sèchement, je vois bien qu'on se défend. Ai-je manqué de tact? Je ne pense pas, c'est surtout que l'Amérique Latine est assez nationaliste, quand en France, c'est très à la mode de critiquer son pays devant des étrangers, ça fait très « ouvert d'esprit ». Deux heures plus tard, une amie remet ça sur le tapis, en hésitant. « Tu connais des pays aussi conservateurs que l'Argentine? ». Ok, d'abord, je n'ai jamais dis ça. J'ai toujours souligné avec elles les progrès que l'Argentine connaissait, progrès inimaginables en France actuellement (mariage gay, femme présidente...). Et puis je souligne aussi que je toute façon, je ne connais pas assez l'objet pour me prononcer. Les mots manques pour nuancer mes propos, et en parlant d'objet, je parlais des rapports de genre. Pas des Argentins. Elle fronce les sourcils. « Objets? Nous sommes des objets pour toi? » Je tente de m'expliquer, mais au fond, j'enrage. Pour la première fois, on me dessine comme l'européen venu ici en sociologue pour observer des bestioles bouger derrière une vitre. Venant d'une bonne amie, ça me vexe. Mais parce que cela provient d'une bonne amie, justement, la discussion n'aura aucune conséquence sur la suite.
L'amour de la nation, la fierté de l'identité me restera longtemps des choses bien lointaines. Pourtant, je me sens toujours étranger ici. Les liens restent difficiles à tisser. Les étudiants vivent chez leurs parents, ils sortent peu. J'ai la chance d'avoir un groupe d'amies très sympathiques et patientes (et charmantes), mais rien ne remplace jamais la force des amitiés tissées par les années. Et puis, ce n'est pas toujours simple d'être catapulté dans un contexte inconnu. En ce moment, les étudiants de la faculté votent pour élire les représentants étudiants. Notre bâtiment est recouvert d'énormes affiches couvrant des pans entiers des murs extérieurs. La bataille fait rage. On s'y croit un peu. Franja Morada, La Walsh, MNR, OCR... Les partis étudiants sont plus omniprésents que jamais. Ca me rappelle mes douces années lycéennes, quand en criant contre le CPE, on pensait un peu sauver le monde.
Je suis amis avec des militants de la Walsh. La Walsh, c'est la représentation étudiante des Péronnistes. En en parlant avec une amie de la Franja Morada, j'ai été surpris par le mépris qu'elle portait pour ses camarades de « l'autre camp ». Je ne comprenais pas tellement. Cette compétition est profondément ancrée dans la vie politique de la petite faculté. Personnellement, ils ne peuvent pas se sentir à mille mètres. En réalité, ce petit combat entre ces deux partis, les deux principaux de l'université, est assez symptomatique de ce qui se passe en Argentine. Les gens de la Franja Morada se disent socio-démocrates. Au niveau national, ils se retrouvent dans le parti Radical, parti lui même membre de l'internationale. En gros, c'est un peu la droite du PS Français (le PS est aussi de l'internationale socialiste, même si...). Ce sont des libéraux un peu rose. Et comment des libéraux pourraient-ils s'entendre avec des Péronnistes? Ennemis de toujours! Péron, c'est le pouvoir personnifié, l'État tout puissant. La Franja critique l'aspect liberticide du Périonisme, des violences policières et des tentatives de contrôles de la presse. La Walsh fustige les démocrates-sociaux comme prêts à mettre l'économie Argentine au service des États-Unis. Cette opposition est assez difficile à retranscrire sur l'échiquier politique Français ou presque tout les partis se disent libéraux, à l'exception du FN et du NPA (en gros). Le PCF a quand à lui oublié depuis longtemps la révolution.
Comment comprendre le Péronnisme? Comment comprendre ce que fut le poids de l'État? Comment comprendre cette fascination pour une personne, pour un mythe? Disons que Péron est avec De Gaulle le symbole du monde de l'après guerre. Au retour de la démocratie en France, nous nous sommes jetés dans les bras d'un homme, sans rien savoir de son projet. Est venue la cinquième. La presse dirigée et l'ORTF, l'État omniprésent, la grande époque Keynésienne, celle des plans (non obligatoires, hein!), des politiques territoriales. Les similitudes entre les deux hommes sont réelles. Mais pourquoi le Gaullisme est il en France aujourd'hui infiniment moins influent que le Péronisme en Argentine? D'abord, il faut bien souligner le contexte Français de 1958. La guerre d'Algérie et son Putsh d'Alger, l'embourbement d'une quatrième république qui, conçue pour ne pas reproduire les déséquilibres de la troisième est retombée dans un parlementarisme pourtant contraire à l'esprit de sa constitution. Mais c'est surtout que le libéralisme n'est pas vécu en France de la même manière qu'ici. Le regard reste en Argentine assez profondément anti-américain. La CIA, Videla, Condor... La tutelle silencieuse de l'Oncle Sam n'a pas été rose. Mais à bien y réfléchir, le Gaullisme est enterré depuis peu en France. Chirac se disait bien Gaulliste. Sans compter Giscard, c'est bien Nicolas Sarkozy qui, de manière quasi officielle, a tiré un trait sur une mouvance politique jugé bien ancienne, même si le gaullisme Chiraquien ne l'était plus que de nom (et aussi, c'est vrai, d'apparences). Ici, Kirchner, c'est un peu le Chirac des années 95. La dernière des Péronistes? Nous le saurons en octobre 2011.
Loin de moi toutefois la prétention de prédire la fin du péronisme, surtout en voyant la ferveur palpable de l'idéologie. Je ne peux non plus oublier qu'il joue en Argentine le rôle du Moralisme ou du Chavisme ailleurs: c'est un symbole d'indépendance face au géant du nord. Kirchner joue sur cette note, parce qu'elle résonne bien à l'opinion. La réalité profonde de sa politique est moins claire. Dans le concert des grandes nations, l'Argentine sait qu'elle a un rôle à jouer. La question est de savoir quel instrument utiliser. Aujourd'hui, elle tente plutôt de se positionner par rapport au voisin Brésilien. Il y a en Argentine un mélange étrange et complexe de protectionnisme (exaltation des industries nationales) et de libéralisme. Un peu comme chez nous durant les trente glorieuses quoi...
Reste donc bien des choses sur lesquelles réfléchir dans ce pays attachant et étrange. Entre les tremblements de terres (nous avons ressenti 2 ou 3 légères secousses ici, et notre propriétaire nous demande de ne pas laisser les bouteilles vides sur la table la nuit, pour éviter qu'elles ne tombent en cas de petits mouvements), les personnels de sécurité omniprésents, dans les MacDo, devant les belles maisons, dans des petites cabanes en plastique dans les rues; les infirmières ou autres personnes travaillant dans les cliniques et marchant en blouse dans les rues à la fin du travail... Je ressens de plus en plus le besoin d'inverser les rôles, de retourner en France, et de parler avec des étudiants étrangers qui leur tour me diront mon pays comme je ne l'ai jamais vu. Les entendre analyser les habitudes, la politique, les comportements.

Il n'y a toujours que les étrangers qui savent voir ce que les autochtones n'ont jamais remarqué.

Les deux photos sont de Irina. Une montre la façade de la faculté à l'heure de la campagne. L'autre montre un tableau accroché au mur d'une des grandes salles de la faculté. Ce tableau montre le peuple marchant pour demander vérité et justice sur les agissements du pouvoir sous Videla. Les silhouettes blanches représentent "los desaparecidos", ceux que le pouvoir a fait disparaître.

mercredi 29 septembre 2010

Photos, fin


Photos, suite 2




Photos, suite





Neuvième entrée, du 16 au 29 septembre






Des vêtements pour une dizaine de jours jetés en vrac, mon duvet par-dessus qui refuse de rentrer dans sa housse et que je tasse pèle mêle sur le tas de linge. J'écrase le tout du pied, et je ferme avec violence mon grand sac à dos. Je prends mes 1000 pesos, à changer à la douane, et surtout, je n'oublie pas mon passeport. Et puis mon appareil photo aussi, même si j'ignore qu'il ne restera plus que quelques heures en ma possession. Je suis fin prêt pour sauter dans un bus et filer de l'autre coté des Andes pour enfin sentir l'air chilien.
Ces jours s'annoncent passionnant, à bien des égards. Le Chili, ce voisin dont j'ai tant entendu parler, je vais enfin pouvoir l'observer de mes propres yeux! Il y a deux cents ans, il quittait l'autorité espagnole. Ces jours, on y fêtera l'indépendance. Je suis curieux de voir ça. La fête de l'indépendance Argentine eut lieu avant mon arrivé, et ce fut semble t-il un évènement unique. Il en sera de même au Chili. Moi qui suis né l'année du bicentenaire de la République Française, j'assiste à l'aube de ma seconde décennie aux fêtes de l'indépendance de l'Amérique latine. J'essaye d'y voir un signe, mais je n'y parviens pas tellement. En revanche, je réalise bien ma chance de voir les "fiestas patrias" chiliennes à Valparaiso. Valparaiso, c'est un peu un mythe pour les étrangers en échange ici. C'est sans toute le lieu le plus proche de Mendoza que l'on doit voir absolument. D'ailleurs, la quasi totalité des étrangers partent cette semaine. La faculté marche au ralenti, les locaux ont des examens de rattrapages, le mercredi est férié, et pour le reste de la semaine, tant pis. Ce n'est qu'une journée de manqué au final, et puis cette année n'est pas celle de la présence assidue à l'université, qui s'en cacherait?
Me voilà donc avec deux compatriotes Français, Pauline et Irina, à l'assaut des Andes. La route qui s'y fraye un chemin est une merveille. On y traverse les montagnes, arides. Le panorama est incroyable, le dépaysement total. Sur le bord de la route, une vieille voie ferrée abandonnée, des cars rouillés et sans roue. Nous sommes dans un des lieux les plus majestueux de la planète. La petite télévision diffuse "Taken", l'histoire d'un papa "État-Unien" (dire américain ici n'aurait pas de sens) qui trucide trois milles méchants dans les bas-fonds de Paris pour sauver sa pauvre fille enlevée par la mafia locale pour en faire une pute. Passionnant.

Bien sur, nous ne sommes pas les seuls à vouloir gagner le Chili pour les fêtes. Nous arrivons à la douane. Devant nous, plusieurs cars patientent. Nous attendons deux heures avant d'enfin pouvoir atteindre les infrastructures, à raison de 3 mètres chaque demi-heure. Derrière moi, un bébé tantôt gazouillant, tantôt pleurant. Je me retiens de lui arracher la tête. Il reste en moi quelques bribes d'humanité. Il faut dire que des bébés, ici, il y en a! Les femmes sont souvent enceintes bien plus tôt qu'en France. Il n'est pas rare de voir des filles de 16 ans porter un bébé. Et même plus tôt parfois. Dans mon université, une crèche est disponible pour les étudiantes/jeunes mères. L'administration est en phase avec sa société. En France, être maman en Master d'histoire, c'est souvent devoir quitter la faculté. Je ne le souhaite à aucune des Argentines, à condition qu'elles droguent leurs gamins avant de les faire monter dans les bus. La frontière est au-dessus des 3000 mètres, altitude ou peut commencer le mal des montagnes. Des panneaux nous préviennent: Veillez à ne pas faire d'effort, à ne pas boire de boisson gazeuse, si vous avez mal à la tête ou êtes sujet à des vomissements, reposez vous. Dans ce hangar un peu délabré, j'ai l'impression d'être un Afghan tentant de quitter son pays, et le décor s'y prête. Deux ou trois formulaires, un tampon et deux heures de queues dans le froid participent à me faire apprécier encore plus l'espace Schengen. Puis on entre dans une salle, tous en ligne. On pose nos sacs sur une petite table. Un chien passe et renifle. Nous sommes du bétail. Nous repartons avec 4 heures de retard sur l'horaire prévu, sans portable pour prévenir nos hôtes. Je sens venir la galère.
Nous voilà du coté Chilien, à rouler prêt d'une station de ski. Le Chili défile. Il est bien plus vert que mon aride région de Cuyo. Quelque temps plus tard, Enfin Valparaiso! Je retrouve un ami, Tudy, qui y étudie aussi. Et de rien pour cette magnifique allitération bancale...
Je vais rester quelques jours en sa compagnie. Également auteur d'un blog, je vous transmets encore l'adresse de ses témoignages, histoire d'éviter les doublons inévitables de l'exercice, puisqu'il vient d'écrire sur les fiestas patrias: http://un-frances-a-valparaiso.blogspot.com/2010/09/que-ma-nation-perisse-pourvu-que.html?spref=fb .

Il vit dans une belle colocation chilienne, juste en face de son compatriote Simon. La rue est très étroite, et sépare les deux logements de quelques mètres. Pour communiquer entre eux, il suffit de sortir la tête et de crier pour inviter l'autre à montrer son visage. Cette image, dans cette rue typique, sous un soleil souvent radieux m'apparut immédiatement comme très pittoresque et sympathique.
Valparaiso est magnifique. Son contact furtif restera dans ma mémoire. Des collines verdoyantes sur lesquelles s'entassent des baraques bleues, rouges, jaunes, vertes, oranges, violettes... Un festival surplombant une mer azur, et le tout baigné de soleil. C'est une véritable œuvre impressionniste, ou chaque maison est un touché de pinceau. Un joyeux bordel sans logique d'organisation. Quand la vue se dégage, le tableau prend tout son sens. La ville bouillonne. Partout, des petits cafés aux murs tapissés d'affiches, de dessins faits au marqueur. Des artistes un peu bohèmes vendent leurs travaux aux touristes, très nombreux ici. Les tags ont envahi l'espace urbain, et se marient avec une force étonnante aux explosions de couleurs des maisons aux tons toujours uniques. Ma première visite, le lendemain matin de mon arrivée est délicieuse. Je m'étonne à chaque pas, je ne sais plus que regarder. La tête m'en tourne. Je marche sur le soleil, et la mer s'étend dans le ciel. Les couleurs grouillent de toutes parts, et j'ai beau fermer les yeux, elles persistent à m'envahir. Impossible de lutter. Je ne peux que me laisser porter dans cette douce marré aux écumes de mille teintes. Valparaiso, signifie en français la vallée du paradis. Concentré des images d'Épinal de l'Amérique latine, je sais qu'elle ne s'y résume pas. Sa richesse est infinie, parfois belle, parfois moins. La pauvreté persiste sur les hauteurs, ou les maisons sont plus sales, ou la tôle est plus présente, et ou on nous dis parfois de passer par un autre endroit, car les lieux ne sont pas sûrs. Nous avons souvent entendu cela. Mais même ces barrios ont pour l'européen aisé le charme de la pauvreté, que l'on aime parce qu'on ne la vie pas, que l'on regarde avec la curiosité parfois gênée de l'exotisme pittoresque. Les enfants jouent avec des cerfs-volants confectionnés en papier, les chiens dorment paisiblement sur les trottoirs, les jeans sont vieux et sales. Les idées bien pensantes viennent soulager ce dilemme. On ne vient pas au zoo, on vient découvrir une réalité autre, avec nos pesos en poche et nos appareils photo. Il ne s'agit pas de se culpabiliser, ni de s'étonner avec l'hypocrisie correcte et démagogique des inégalités qui nous bercent du bon coté. Mais on ne peut ignorer aussi les difficultés de voir en l'autre, celui qu'on ne perçoit d'abord que par ses différences, une personne totalement égale à soi même, avec les mêmes ambitions et les mêmes préoccupations. Cet obstacle au voyageur, universel, est à surmonter. Pour se faire, passer sous silence cette vérité de sert à rien. L'assumer sans l'exagérer est la seule solution. En prendre acte sans jamais voir en l'autre un opposé. Voir en l'autre un autre moi qui n'est pas moi-même. Ne pas tomber dans les extrêmes qui seraient soit de nier ce qui s'impose et se croire exactement comme "eux", se qui serait indécent; soit de dire que la différence est si grande que notre présence ici n'est pas légitime, ce qui serait inhumain (et dramatique économiquement, disons-le). Oui, l'insécurité, toujours relative, est présente ici. En parlant ici et là, je remarque que tout les étrangers, que ce soit à Valparaiso ou à Santiago, ont eu des problèmes. Vols de portables, de cartes de crédits, de portefeuilles... Et pour moi, mon appareil photos! Je l'ai cherché tout le séjour, et en rentrant, je ne l'ai pas retrouvé. Je me suis souvenu l'avoir mis dans une poche fermée de mon sac à dos. Le seul problème, c'est qu'en arrivant chez Tudy, déjà, je ne le trouvais pas. Le seul moment ou il a donc été possiblement volé, c'est lors ce que les douaniers ont fouillé les sacs à l'égard des regards à la frontière... En revanche, les violences purement physiques, elles, restent rares. Elles existent, mais en grande minorité.
Revenons à mon arrivée à Valparaiso. Le soir même, nous allons contempler l'impressionnant feu d'artifice embrasant la baie. Vous retrouverez ce récit sur le blog de mon hôte, mais je ne peux, cette fois, passer sous silence une réflexion que Tudy et moi nous sommes faites au même moment (si c'est pas beau...). Les jeunes riaient, chantaient, et criaient VIVA CHILE! Ce nationalisme nous a impressionné (pour bien comprendre la chose, sa vigueur, je vous réinvite à lire le blog donné plus haut). Loin de la France et de son étrange et complexe désintérêt pour la nation, le Chili connaît un fort nationalisme. La jeunesse est fière de son pays. Elle se berce d'un orgueil que le 14 juillet ne reflète plus depuis longtemps. J'étais à cette occasion à l'Isle Adam, petite ville bourgeoise de région parisienne. Le feu d'artifice au bord d'un étang, sur des musiques de Michael Jackson, thème indéniablement lié à l'histoire de notre pays. Je n'ai entendu personne chanter la Marseillaise. Le nationalisme existe en France, bien sur. Trop souvent comme un repli identitaire. Mais la France ne fait plus rêver. Les guerres Napoléoniennes n'auraient techniquement jamais pu être remportées. Tout les historiens s'y accordent, l'armée Française, essoufflée par une révolution chaotique et une instabilité chronique, était bien moins nombreuses et équipée que les puissances alliées. Et pourtant, dans un premier temps, les victoires se sont enchaînés. C'est que l'amour d'une nation reposant sur des principes nouveaux avait surmonté la loi du nombre. Les soldats se battaient pour un idéal, ceux d'en face pour un devoir de métier. Puis l'idéal s'est perverti. Des soldats ont commencé à violer les femmes et à voler les richesses personnelles. En Espagne, l'attractivité de la république s'est crue naturellement supérieure, rendant la résistance de fait illégitime, et donc à mater. On connaît la suite. La force de l'identité est une inconnue dans un conflit qui a toujours été sous estimée. En Irak, l'OTAN en fait les frais.
La France ne fait plus rêver. Elle ne se définit plus comme un idéal à partager mais à protéger. On aime plus la France pour ce qu'elle a d'universelle, mais pour ce qu'elle de particulier. Elle se définie de manière négative, par rapport à l'autre, qui de fait n'est plus partie prenante de cette identité. Expulser devient donc le ciment d'une identité en perte de repère. On en connaît que trop bien les dérives. Mais rassurez vous, sur l'affaire des Roms, Berlusconi, grand apôtre de l'État de Droit nous soutient. Mon romantisme gamin, idéaliste et naïf me pousse a y voir l'occasion de jouir d'une nouvelle identité, bien différente de celle que l'on tente de construire, malgré des incohérences de plus en plus terribles. Si l'idéal Français est en voie de déliquescence, pourquoi ne pas y voir l'opportunité de construire et consolider l'idéal européen? Pourquoi ne pas rêver à un projet collectif fort prenant appui sur l'idée d'une nouvelle cohésion? Pourquoi l'Europe ne serait-elle pas l'avenir de la France? Le travail est, je sais, difficile et de très longue haleine. On ne construit pas une nation en une, deux, ou même trois générations. Mais je retiens que sur mon passeport, au-dessus de "République Française", je peux lire "Union Européenne". Sans doute suis-je en train de construire une certitude nationale à la seule vue de mes aspirations. C'est ce que l'on appelle en épistémologie, et pour faire chic, le constructivisme : Analyser et construire le réel selon l'expérience que l'on en a.
En parlant de constructivisme, ce voyage fut aussi l'occasion de mettre à mal ma passion pour l'idéal de la panamericana (c'est mon petit coté Che Guevara, que voulez vous...). De manière générale, j'ai de plus en plus l'impression que la compétition entre les différents pays d'Amérique Latine est un trait notable des mentalités. Un ami Argentin ne cesse de décrier les chiliens. Au Chili, j'ai entendu de nombreux discours très fortement chauvins. Le Chili est la première puissance du sous-continent, tant en termes économiques que militaires (même si c'est bien plus difficile à mesurer), et hormis le Brésil, qui conserve une place particulière et centrale. Durant la guerre des Malouines, qui a opposé l'Argentine au Royaume-Unis entre le mois d'avril et Juin 1982, l'Argentine était seule. Le Pérou fut quasiment le seul pays à la soutenir. Le Chili, lui, aidait ouvertement l'Angleterre, en autorisant l'armée à stationner sur ses terres. Tout les Argentins ne l'ont pas oublié. Depuis quelques semaines, je me rends compte à quel point l'utopie est loin. Le projet reste cher à quelques rêveurs. Pour les autres, le Mercosur suffit. C'est que dans la faculté, ses rêveurs sont nombreux. Des rencontres universitaires sont régulièrement organisées entre les différents pays. Et comme les groupuscules marxistes y sont nombreux, l'idée est souvent évoquée. En dehors des murs de l'université, en revanche, la question n'intéresse pas. Mon obsession à voir ce que je veux trouver m'a joué un tour. Néanmoins, personne ne pourrait nier que les liens linguistiques favorisent aussi l'existence, au demeurant indiscutable, d'une identité commune. Les Argentins voyagent beaucoup, relativement au milieu de vie moyen. Beaucoup on vu le Chili ou l'Uruguay. On reste attentif à ce qu'il se passe chez les voisins. Ici encore, l'Amérique Latine brille par sa complexité. D'une part, les suds-américains partagent une histoire commune. Celle de la décolonisation, qui a enfanté des États actuels. Celle des dictatures, de la guerre froide, du rêve passé du Che, cet Argentin de Rosario, pièce maîtresse de la révolution cubaine. Mais les tensions sont fortes. Guerre du pacifique, concurrence entre un Brésil en grande émergence, membre des BRIC, et l'Argentine qui tente de suivre le rythme sans vraiment y parvenir... Le Che, revenons y, rêvait d'allumer plusieurs Vietnam sur le territoire sud américain. L'échec fut cuisant, peut être justement parce que le terreau idéologique auquel il croyait n'existait pas. Et Valparaiso dans tout ça? Tudy m'expliquait que le port fut central dans l'expansion économique du pays. Mais avec l'ouverture du canal de Panama en 1914, qui relie le pacifique à l'Atlantique, Valparaiso s'est effondré. Il n'était plus stratégique. Depuis, la ville survit grâce au tourisme. Mais Valparaiso reste un lieu majeur de l'histoire chilienne. C'est ici qu'en 1973 a commencé le coup d'État. Depuis, Allende est omniprésent dans la ville, notamment grâce aux nombreux tags à son effigie. Il reste bien sur son rayonnement culturel exceptionnel. Le mythe hippie y existe encore. Tudy m'a raconté qu'un Français c'est retrouvé en arrivant dans une maison de poètes, ou tout était mis en commun, et ou la porte restait toujours ouverte. La maison bleue de Maxime le Forestier en Amérique latine quoi. Il y a dans cette ville une ambiance très plaisante, l'odeur d'un temps révolu, que certains doux nostalgiques se plaisent à faire perdurer. Bien sur, Valparaiso est aussi la ville de Pablo Neruda. J'ai l'occasion de visiter ce qui fut sa maison. Une magnifique vue. Tout y est propre. Tout y est bien rangé. La vaisselle est sur la table du salon. Qui croirait à une telle mise en scène? Ce genre de visite résonne le faux. Pablo Neruda est mort en laissant sa maison exactement comme elle est aujourd'hui, je n'en doute pas. Souvent, les "lieux de vies" sont de vastes attrapes touristes. On s'y ballade avec des écouteurs nous racontant tout un tas de choses sans importance, et on s'en va en ayant oublié que Neruda, c'était surtout un poète. Mieux vos acheter un de ses bouquins pour le feuilleter sur l'un des Cerros de la ville, à l'ombre d'un arbre ou sur les marches ensoleillés d'une petite église. C'est moins cher, plus intéressant, et plus plaisant. A Mendoza, en rentrant, un Allemand me dit qu'il a quitté Valparaiso sans avoir lu de sa vie un seul de ses vers. Vous imaginez-vous visiter la maison de Van Gogh sans avoir la moindre image en tête d'un seul de ses tableaux?

Le lendemain, nous prenons le bus pour deux heures de routes. Direction Horcon, un petit village de pêcheurs à deux heures de Valparaiso. Un lieu charmant. Des petites plages cachées derrières des communautés hippies vivant un peu hors du monde, un port aux petites baraques vendant de quoi grignoter. Et bien sur, le soleil et la mer! Le pacifique nous fait un bien fou, lui qui est si loin de Mendoza!
Un autre jour, nous nous rendons dans une espèce de vaste Kermesse. On y fête bien sûr le bicentenaire. Tir à la cible, chamboule tout... au milieu des drapeaux chiliens flottant. Je ne résiste pas à l'envie de faire un tour de manège. D'abord, je grimpe avec Pauline sur un espèce de bras mécanique qui fait tourner une nacelle dans les airs. Ca craque de partout. En observant le moteur, je remarque un bac dans lequel se déverse un liquide blanc étrange. Il manque des ampoules sur les nacelles. Les forains ne remplissent l'attraction qu'aux trois quarts, alors que la queue s'étend. Pas très rassurant. Une fois terminé, je monte dans un manège qui envoie une plate forme en l'air, et qui tourne sur elle même. Plus de sensations. Tout est rouillé. Je vois les engrenages qui propulsent l'engin. Ils sont bien usés et déformés. J'en sors vivant, comme les quelques milliers de personnes qui viendront après moi.
Bientôt, nous devons partir et rejoindre Santiago.
Que reste t-il de ce passage à Valparaiso? Une odeur de poésie que l'on retrouve même dans le tranquille cimetière dans lequel nous nous baladons avant de la quitter. Une expérience des plus riches et des plus belles. Une ville marquante, unique. Un magnifique souvenir. C'est une ville dans laquelle il faut flâner, se perdre, se laisser aller au hasard de la marche. C'est une ville ou lire un petit bouquin sur un banc, boire un verre entre amis. C'est une ville à vivre, à sentir. Et puis le plaisir des cafés, aussi. Les discussions décousues et universelles. Un soir, dans un bar, on me donne des conseils de drague. Comment séduire une femme de A à Z... Comment comprendre des codes relationnels que l'on ne connaît pas. Le charme de l'étranger, c'est aussi ça. Ces petits moments amusants, anodins sur l'instant, mais qui se teintent avec le temps d'une saveur toute particulière.
Nous partons ainsi vers Santiago, gentillement logé chez Claudia et Chloé, deux amies françaises. Le contraste est frappant. La ville est immense et s'étend à perte de vue. Gratte-ciel, voitures... Et bien sur le fameux smog, qui couvre la ville. On s'en aperçoit une fois monté sous un soleil de plomb sur une colline qui domine la ville. C'est le cerro (colline en castillan) San Cristobal, au sommet duquel se trouve une statue de la Vierge. D'ici, on peut voir l'infini du tissu urbain. Santiago est moderne. Le métro est flambant neuf, et les escaliers d'accès sont équipés d'un rail sur lequel repose un fauteuil électrique pour permettre l'accès aux handicapés. Le soir de notre arrivé, nous retrouvons Chloé chez elle. Elle vit dans un immeuble, au treizième étage. La vue est incroyable. On se croirait à Manathan. Les buildings clignotent. Une voie lactée électrique défie l'horizon. Une grande ville des Suds. Mais le temps manque. Nous ne nous y attarderons pas cette fois-ci.
Nous retraversons la frontière dans l'autre sens. Réveil à 2 heures pour effectuer de nouveau les formalités administratives, et attendre les fouilles de nos affaires. A 7 heures et demi, Mendoza se réveille doucement. Je la retrouve avec joie. Je m'y sens chez moi. Les agents municipaux passent le jet d'eau sur les pavés. Sans discuter, je cours me coucher.

Voilà trois jours que je suis rentré. Je rédige cette entrée selon les notes prises sur mon téléphone portable, mais surtout de mémoire. Souvent, quand quelque chose me marque, je l'évoque sur une feuille par deux ou trois mots. Je reprends le tout lors ce que je pense posséder suffisamment de matière pour construire un article. Mais vous l'aurez compris, on ne peut pas tout noter. Je n'ai pas un carnet incrusté dans la peau. Et souvent, en reprenant mes notes, je ne réussis pas à déchiffrer ce que j'ai écris. Et quand j'y parviens, je ne me souviens pas toujours à quoi elles se référaient. Je ne peux pas tout dire, et même pas dire ce que je tout ce que je voulais. Souvent, des détails me reviennent alors que l'article est en ligne depuis longtemps. Ce n'est pas grave, j'insère ses détails dans les articles suivants, sans respecter la chronologie des évènements. D'où le caractère parfois incohérent de mes textes. Les idées viennent, partent, reviennent et repartent. J'ai choisi l'inconstruction (regardez dans le dictionnaire, si trouvez ce mot, vous gagner 3000 euros) par facilité. Et puis de toute manière, je ne suis pas à l'école, alors laissez moi le plaisir d'emmerder enfin l'exigence de structuration.

Enfin, pour clore cette longue entrée, il me faut souligner aussi le plaisir de revoir les amis Français également en échange: c'est l'occasion de pleurer sur notre pays.
Jusqu'à quand allons nous accepter le mépris du droit?
Une institution est par nécessité impersonnelle dans le sens ou celle-ci ne fonctionne que dans le cadre de règles précises et écrites. Si notre président veut en modifier l'usage, pourquoi pas, à condition qu'on me demande mon avis! Si la majorité est alors contre moi, je ne pourrais que la fermer et prier pour être dans l'erreur. Mais tant que ce n'est pas le cas, quelle est la légitimité du politique qui appréhende une institution sans en respecter l'usage originel? C'est aussi ça le drame de l'affaire Woerth! Même si ce dernier est innocenté, il ne sera jamais totalement réhabilité. En supprimant le juge d'instruction, c'est la justice même qui perd sa neutralité. Et même si dans les faits elle la conserve (sait-on jamais), elle ne peut plus prouver qu'elle l'ai, puisque la réforme de l'institution n'est que le fruit d'un acte politique détaché de toute légitimité électorale (programme présidentiel, référendum). Dès lors, c'est la base même de la nature de la justice qui est en question. L'affaire Clearstream l'illustre bien. Composer une juridiction sur mesure pour rejuger l'ancien premier ministre, c'est remettre en cause l'État de droit. La justice est la même pour tous, et la loi s'impose à l'ensemble des membres de la société, même à ceux qui la dicte.
Les libéraux, ceux qui croient dur comme fer à la pensée de Locke, doivent avoir la nausée. Le libéralisme, c'est ce qui protège l'individu de l'expansion du pouvoir de l'État. Notre président acceptait sans complexe l'étiquette libérale, ce qui plaisait aux abrutis qui n'y voyait là qu'une signification purement économique, alors qu'elle reste essentiellement politique. J'espère qu'ils se sentent cons. En vulgarisant le débat, c'est l'idée même de libéralisme qu'on a tué. On a fait du libéralisme l'idée de la totale liberté économique. On diminue les impôts en son nom. Un vrai libéral sait que redistribuer les richesses est effectivement un devoir d'État. Keynes le dit. Mais Smith également. Ou en est l'idée libérale dans toute sa noblesse? L'idée des lumières (enfin de certaines), l'arme ultime contre les monarchies absolues. Non, Nicolas Sarkozy n'a rien d'un libéral. Le libéralisme ne peut admettre qu'un État parvienne ainsi à s'étendre là ou la liberté et l'égalité de tous s'imposait. Le France glisse actuellement sur une "pente totalitaire douce", c'est-à-dire que le pouvoir étatique s'infiltre là ou il n'a pas là s'infiltrer. Nomination du directeur de France Télévision et de Radio France par le président, remise en cause de la non rétroactivité de la loi (malgré l'avis défavorable du conseil des sages), déchéance de la nationalité (qui est illégale, inutile de faire preuve de mauvaise fois, il suffit de s'arrêter au premier article de notre constitution), pression sur les journalistes et sur leurs sources. Ce n'est pas sans précédent que l'exécutif outre-passe ses prérogatives. Mais à un tel rythme, c'est bien une première dans l'histoire de la cinquième république (et les fautes passées, de toutes manières, ne justifient pas les fautes actuelles).
Mais je pars dans tout les sens. Comment expliquer la politique honteuse de Hortefeux et Besson à l'égard des Roms? C'est en fait la manifestation d'une contradiction tactique. En 2007, Nicolas Sarkozy gagne grâce à l'insécurité. C'est l'image du karcher. Aujourd'hui, il est en perte de vitesse, et les élections approchent. Il faut donc ré-attirer l'électorat. Ce qui fonctionne, c'est l'insécurité, qui l'a mené au pouvoir il y a presque 4 ans. Oui, mais dire que l'insécurité est de nouveau le problème majeur, c'est de fait avouer que le bilan du président est mauvais, que les objectifs ne sont pas atteints. La seule solution est alors d'adopter un discours fondamentalement bancal et contradictoire. A la fois on s'alarme de la violence, mais en même temps, on assure que la situation est meilleure qu'en 2007. Depuis cette date, périodiquement, on nous balance des chiffres alarmant sur la violence. Et puis deux mois après, on applaudit une amélioration statistique. Depuis ces quatre dernières années, il est fascinant de constater combien un discours succède à l'autre. Donc ça va mieux, mais il reste encore des problèmes. Cette fois-ci, c'est à cause des Roumains (« Aujourd'hui, à Paris, la réalité est que près d'un auteur de vol sur cinq est un Roumain » « un vol commis par un mineur sur quatre l'est par un mineur roumain », chiffre d'ailleurs sortis de nulle part, aucun organisme n'ayant admis être à l'origine de ces chiffres). Et si Sarkozy gagne en 2012, et que tout va de travers en 2016, il faudra bien penser aux prochaines élections et mobiliser l'électorat. On nous dira que la sécurité a progressé, mais qu'il y a encore des problèmes. Ce sera la faute a qui?


Les photographies sont de Irina et Noémie.
Elles présentent successivement: -Le passage des Andes et Valparaiso
-Valparaiso
-Un tag de Valparaiso et Horcon
-Santiago.
Vous pouvez consulter le blog d'Irina: http://maradona-y-gauchos.over-blog.com