mercredi 15 septembre 2010

Huitième entrée, du 1er au 15 septembre.






Mi-Septembre, les jours chauds arrivent. Déjà, je suis quotidiennement réveillé à midi par la chaleur qui m'oblige à enclencher mon ventilateur. Il faut dire que je vis dans une chambre encadrée de fenêtre. Je suis une plante en serre. J'ai porté, il y a une semaine pour la première fois, un bermuda. Et je reste en T-shirt la journée, même si les nuits restent très fraîches et que le thermomètre joue encore au yoyo. Fernando et Nicolas sont partis. En France, j'ai des échos de la rentrée. Les vacances sont terminées pour presque tout le monde. Je n'ai toujours pas de stage, et ce problème difficile occupe de plus en plus mon esprit. Après tout, c'est bien lui qui décidera du programme à venir.
Mais je crois qu'il est temps pour le moment de vous parler des ces petits détails, que je n'ai pas encore abordé. Insignifiants en apparence, ils font pourtant l'esprit de ce pays. La fête, tout d'abord! Les Argentins adorent sortir, et selon des horaires très différents de ce que j'ai pu connaître en France. La nuit ne commence pas avant 2 heures du matin, et se termine souvent vers 6 ou 7 heures... pour laisser place à "l'after", se tenant souvent chez quelqu'un, pour enfin pouvoir se coucher vers dix heures du matin. On comprend mieux l'utilité de la sieste... A Mendoza, il y a plusieurs lieux pour se retrouver le soir. Même si la rue Aristides est le plus connu. C'est ici que tout le monde, et aussi les étrangers, viennent dépenser leurs pesos. Le "Por aca" est un de ces bars branchés, à l'ambiance étudiée, connaissant une forte hausse des prix d'années en années, ou l'on peut danser sur des musiques plutôt rock. Reste aussi quelques autres bars, plus typiques, plus intellos sans doute, ou l'on peut regarder des couples danser le tango. Loin de l'épicentre de Buenos Aires, on trouve ici de nombreux bars ou apprendre cette danse typiquement Argentine. Un soir, avec quelques amis, nous avons pu admirer une belle prestation. Le Tango, c'est d'abord la sensualité en mouvement, la proximité extrême mais aussi la distance la plus cordiale. C'est à voir, assurément. J'essayerai d'en savoir plus. Et pourquoi pas même de m'initier, si la folie me prend, à moi et à mon légendaire sens du rythme. La soirée c'est terminée agréablement, par quelques verres de bière, mais aussi par la présence délicieuse d'un pigeon qui s'est fait un plaisir de me chier dans les cheveux.
Et sans transition, en Argentine, on mange quoi? Un peu comme en Europe. Mes papilles ne sont pas très dépaysées. Reste que le vin Argentin est plutôt bon. Mendoza, comme on dit ici, c'est la terre du soleil et du bon vin, "la tiera del sol y del buen vino". Ici, pour manger rapidement, souvent la nuit après être sorti, on prend des Panchos, c'est à dire des hot-dogs, que l'on peut acheter à tout les coins de rues. A chaque fois, une grande diversité de sauces est proposée. Un hot dog avec frite et soda coûte environ 15 pesos, soit 3 euros. Les Argentins aiment aussi les encas, et les croissants notamment. Plus petits et bien plus sucrés qu'en France, ces "Medialunas" peuvent au goûter être accompagnés d'un "submarino", d'un sous-marin, comme vous l'avez compris. C'est en fait un grand verre de lait chaud, dans lequel on plonge une barre de chocolat qui y fond pour obtenir le chocolat chaud d'ici... Mais je ne peux terminer ce sujet sans parler des "asados", les barbecues argentins. 500 grammes de viande par personne, cuite sur des braises. La meilleure viande du monde, dit-on! Tendre comme pas possible, goûteuse, la graisse qui l'entoure, en cuisant, rend la viande absolument irrésistible. Venir ici sans en manger est un crime. C'est la fierté du coin. Savoir si l'on a eu l'occasion d'y goûter est une des première question posée habituellement à l'étranger. Le préparer semble presque être un tâche noble, on en exalte le savoir faire, et à écoûter ceux qui estiment savoir maîtriser cet art, tous se prévalent d'être les meilleurs "asador" d'argentine. Pour nous, il suffit d'en sourire et de se régaler, rien de plus. J'ai eu l'occasion d'en manger quatre fois. Quatre bons souvenirs.
Un des autres traits assez marquant de l'identité Argentine reste le poids notable du christianisme. Ici, il est très fréquent de voir les gens effectuer le signe de croix dans la rue, en passant devant une Eglise. Les conducteurs au volant aussi s'y livrent. Fernando, lors d'un repas, nous indiquait que les jeunes ici sont très souvent en couple, mais cela ne rime pas toujours avec liberté sexuelle. Le préservatif, sans être absent pour autant, n'est pas aussi répandu dans les mentalités qu'en France, ou il ne l'est déjà pas assez. Sur le bord des routes, on trouve très souvent d'étranges autels, sous forme de petites maisons de tissu, dans laquelle trône une figurine de Marie. Il y a aussi, devant la faculté, une statue la représentant. De nombreux étudiants, en gagnant les cours, font machinalement le signe de croix en passant devant elle. En revanche, l'islam est invisible, tout autant que le Judaïsme. L'immigration est essentiellement régionale. Très peu de noirs (il arrive même, tel que j'ai pu le constater dans la rue, qu'ils fassent figure d'attractions, notamment quand la personne en question est une femme. On la siffle, on l'invite vulgairement à boire un verre. Un étrange fantasme.), très peu d'arabes, très peu d'asiatiques. Pauline, ma colocataire, souligne ainsi qu'elle n'a vu aucun restaurant chinois ou indien. Presque pas de Kebab non plus. A Mendoza, il n'y en a qu'un seul. Et il est très mauvais.

Voilà pour les détails. Reprenons un peu le cours des choses. Comme je vous l'ai dit, Fernando est parti. Durant les quelques soirs ou nous avons mangé tous ensemble, plusieurs conversations se sont enchaînées. Des échanges sur le subconscient, la dépression, sur les névroses et les maladies mentales, en passant par la question, épineuse ici, de l'avortement (Fernando est contre l'avortement volontaire effectué hors du cadre d'un viol ou de nécessité médicale), les compétences en médecine de Maud nous ont souvent éclairé. Fernando, lui, m'a permis de mieux cerner le phénomène Peroniste. Véritable pilier de la culture Argentine, Peron est un de ces leaders du second vingtième siècle, qui avec d'autres comme De Gaulle ont incarné la réalité du monde de l'après guerre. Enfin Peron, les Peron(s)... mari et femme! Juan et Eva! Peron est un mythe, une légende. Nombreux sont les Argentins qui connaissent par cœur la "Marcha Peronnista", chant à la gloire de celui qui a incarné la fierté ouvrière et exalté son identité. A plusieurs reprises, Fernando nous l'a chanté. Mais certains camarades d'université également. Demandant bêtement ce que signifiait pour eux le personnage, ils se sont levés de la table et ont commencé à chanter en riant. Dire que l'on est Peroniste, c'est un peu comme dire que l'on est Gaulliste. C'est facile, mais cela ne veut plus dire grand chose (désolé pour tout les Gaullistes que je fréquente). C'est une question de légitimation. Kirchner se dit Peroniste, mais d'autres Peroniste dénoncent l'étiquette. C'est donc un mouvement difficile à définir. Disons que c'est un populisme, un régime reposant sur un leader qui base son autorité sur le soutien populaire et le charme de sa personne. L'inspiration fasciste n'est pas loin, comme je vous en ai déjà parlé, et comme l'admet Fernando. C'est pour cela que de nombreuses légendes, plus ou moins vrais, circulent toujours sur le couple sacré. Fernando m'en a raconté une. En 1947, alors qu'il pleuvait averse sur Buenos Aires, Eva, dans une voiture officielle, rentrait chez elle. En voyant une pauvre femme et son enfant sous la pluie elle se serait arrêté, aurait fait monter la mère et sa fille dans la voiture pour leurs trouver de suite un toit. Cette série de gestes aussi concrets que symboliques constitue donc les fondations du mythe. Pour Fernando, on peut raisonnablement faire de nombreux rapprochements entre Peron et De Gaulle. Disons pour aller dans son sens que ces deux personnages, d'abord, appartiennent à la même époque, au même contexte particulier de l'après guerre. Disons aussi que ce sont deux personnages qui ont cru pouvoir représenter la nation au delà des oppositions traditionnelles, dans son unité souvent davantage fantasmée qu'autre chose. Fernando, est donc parti comme il était venu: en vantant Peron. Ce ne sera pas le seul.

Ce weekend, nous avons pris le bus pour parcourir la très fameuse route des vins. C'est, avec l'Aconcagua, l'activité touristique phare de la région. Petit retour sur cette journée...
Dès que nous sortons du bus, une série de personnes viennent nous proposer leurs services. Guerre des prix et des bicyclettes. Nous voilà bientôt sur nos vélos rouges, à partir pour la première Bodega, après avoir avalé difficilement une infâme piquette trop généreusement offerte par le loueur. Nous commençons d'abord par visiter un producteur d'huile d'olive. Petite visite dans cet atelier peuplé d'américain. Les rotations s'enchaînent comme à l'usine. On goûte de l'huile d'olive fièrement labellisée de vierge extra, du chocolat, de la tapenade, des alcools en tout genre, et y compris de l'absinthe, non diluée, qu'on nous propose dans des petits shooters. La gorge broyée, il faut bien repartir pour une seconde Bodega. Le vin est plutôt bon. Je trouve même que le rapport qualité-prix est infiniment plus avantageux ici qu'en France. Néanmoins, je préférerais laisser cette appréciation à la responsabilité d'un sommelier non chauvin. Le journée est agréable, mais pas sans surprise. Très vite, je remarque qu'une voiture de police nous suit. Dans le haut parleur, l'agent au volant nous demande, en anglais, de former un file indienne. Question de sécurité. Normal, nous sommes sur la route. Mais une fois l'ordre sagement accompli, la voiture ne cesse de nous coller, feux de détresse allumés. Elle nous escorte? Je ne comprends pas! Nous continuons de nous promener, à la recherche d'un lieu pour manger. Nous nous arrêtons à un croisement. La voiture s'arrête aussi. L'agent baisse la fenêtre, et demande ou nous allons. "On chercher un endroit pour manger". "D'accord". Je baisse les yeux, et je lis sur la portière "Police d'assistance aux touristes". Ce n'est pas la première fois que je vois cette unité, mais jamais d'aussi près. Nous repartons. La voiture aussi. Elle continue son escorte. Cette fois-ci, nous commençons à nous demander sérieusement ce qu'on nous veut! Les Suppositions vont bon train. "Il attend peut être de repérer si l'un de nous est bourré pour lui foutre une amende". Nous repérons alors un restaurant très chic, dans un domaine viticole, protégé par un portail électrique. Nous y allons, histoire que le flic cesse de jouer à la voiture du tour de France. Mission réussie. Après s'être étranglé en regardant le prix du menu, nous repartons vers une solution meilleure marché, heureux d'être défait de notre étrange compagnie policière... Mais une fois dans la rue, ce n'est plus une voiture, mais une moto qui nous attend! Nous pédalons, mais la moto, de la même unité, nous suit de nouveau. Nous nous arrêtons, et une amie demande enfin la raison de sa présence. "On travaille avec les touristes, ce n'est pas que la zone est dangereuse, mais il existe des tensions sociales". Nous voilà donc sur nos vélos, loués pour profiter un peu de la liberté qu'ils offrent, mais encadrés par la police, en plein après midi, dans un lieu qui n'avait pas l'air plus dangereux que cela. Nous nous arrêtons enfin pour manger quelques empenadas et s'arrêter une heure, avant de repartir nous balader dans les environs librement... Mais en quelques minutes, un nouveau policier nous repère et se met à nous suivre. Nous nous réfugions dans un atelier d'artistes, ouvert au public. Ce dernier nous attend patiemment pendant une demi-heure devant la maisonnette... Comme je le dis à un des membres du groupe, la situation me rappelle "Tintin et les Picaros", quand le capitaine Haddock se retrouve dans une maison, surveillée par la police, et que ce dernier ne peut aller acheter du tabac sans être escorté. Cet album se passe en Amérique latine. Et la police signifie au brave capitaine que c'est pour sa sécurité... Trêve de comparaison hasardeuse et infondée. Ici, la violence nuit sans doute au tourisme. Mais l'expérience ne me fut pas agréable. Je n'imaginais pas un vol, en plein après-midi, dans cette ville plutôt animée... Et si on ne surveillait pas simplement que nous n'allions pas voler les vélos? Ici, pas besoin de donner son identité pour en louer, et encore moins de dépôt de garantie... Mais la fin de journée fut charmante, et la campagne agréable. Les odeurs, les couleurs... Un régal. La vie, sur la route des vins, semble douce. A refaire.
Ces derniers temps, j'ai eu l'occasion de constater plus précisément l'ampleur des inégalités qui sévissent dans la banlieue de Mendoza. Il y a quelques jours, nous avons été invité à une soirée. Nous arrivons sans en savoir plus. Un mur gigantesque, un interphone, du fer forgé se terminant en pics acérés... Nous sonnons. La porte du garage coulisse. Deux ou trois voitures de luxe, une piscine, une maison énorme, des escaliers de château... Des jeunes gens bien habillés, une table remplie de nourriture, de la viande à foison, du champagne... Et puis des adultes aussi, qui surveillent apparemment que tout se passe bien. Merde, je suis tombé dans un rallye argentin ou quoi? Je n'avais jamais été invité dans un lieu pareil, ni en France, ni ailleurs. Mais bon, l'alcool était gratuit. Et puis d'autres étrangers, aussi hallucinés que nous sont arrivés. Des américains: une étudiante en philo, l'autre en musique. La soirée c'est terminée calmement, et même un peu en anglais... Enfin, tant bien que mal.
Le lendemain, je dois aller à la fac. Bien sur, je me trompe de bus. Je vois mon université s'éloigner. Je ne sais pas pourquoi, mais je reste dans le bus. Avec un peu de chance, il s'y arrêtera en faisant demi-tour... Manifestement, non. Me voilà de l'autre coté du parc San Martin, sur une route en terre, cabossée, dans un quartier pauvre. Bon, tant pis, je descends, et je me tape une heure de marche dans le bidonville. Des chiants errants, des rues entières de maisons minuscules, croulantes, en bois et en tôles. Des petits kiosques rabougris (les Kiosques, se sont des petites boutiques ou l'on achète à manger, des clopes, de la bière...). Des enfants jouant dans la terre, le soleil, et la poussière dans mes cheveux. Un peu plus loin, les habitations sont en dur. Aussi petites, mais en dur. Les rues sont en terre, les maisons vraiment très modestes, je quitte le bidonville pour un quartier pauvre. Les voitures, de véritable tas de taules rouillées. De vielles voitures américaines aux longs capots. Mais comment peuvent elles encore rouler, sérieusement? Plus une seule trace de peinture, plus de clignotant, plus rien, mais elles roulent! En France, les voitures neuves tombent en panne en 3 mois, et ici, celles qui ont quitté la casse en France depuis 10 ans roulent sans broncher. On devrait faire venir quelques mécaniciens argentins dans nos garages... Bref, en quelques jours, deux lieux contraires, contradictoires. Deux lieux accueillants aussi, très différents de ce que je connais. L'Argentine riche, celle qui profite des opportunités, et celle, pauvre, qui tend petit à petit lever la tête, tout doucement. La problématique des bidonvilles ici n'est pas la même qu'en Afrique ou parfois qu'en Asie. Ici, on ne trouve plus de bidonvilles s'étendant à l'infini autour de la ville formelle. Ce ne sont que des espaces résiduels et spatialement limités. Les enfants de ces quartiers vont à l'école publique en transport scolaire. Ces quartiers sont desservis par le bus. L'électricité est disponible. Pas de routes, pas d'adresses véritables, pas de boites aux lettres d'ailleurs, mais la zone existe dans le tissu social global. En marge, certes, mais pas de double réalité urbaine qui s'ignorent, enfin, moins que dans d'autres pays. Bien sur, je ne passe pas inaperçu pour autant, à me balader avec ma chemise et mon petit classeur. En 2001, le climat social était bien plus explosif. Fernando me racontait les morts dans les manifestations, les tensions extrêmes et l'armée patrouillant à Buenos Aires. L'Argentine était au bord du gouffre. En quelques mois, tout s'était effondré. Tout. Les vies étaient appelées à changer radicalement. C'est à la lumière de ce passé qu'il nous faut penser l'Argentine d'aujourd'hui.


Les photographies montrent notre balade à vélos sur la route des vins. Je n'en suis pas l'auteur.