mardi 10 août 2010

Quatrième entrée: Du 4 au 8 aout 2010






Que l'on soit à Paris, à Lille, à Buenos Aires, à Mendoza ou ailleurs, que retrouve t-on? L'universel existe t'il? Peut-on retrouver une pratique, une expérience commune? Bien sur, et la musique en est une, entre autre! J'ai eu l'occasion de le constater, un soir, dans la résidence. J'étais en train d'écrire une lettre sur mon ordinateur, en écoutant un morceau des Pink Floyd, quand mon ancien "colocataire" m'a confié qu'il adorait ce groupe. S'en est suivi une longue conservation sur nos goûts musicaux, illustrée par des morceaux trouvés sur le net. Une bonne heure à parler des groupes phares de la scène mondiale, malgré les difficultés de la langue. La musique, c'est vrai, rapproche les hommes. D'ailleurs, qu'entend-on en Argentine? Un peu les mêmes choses qu'en France. Entre Manu Chao et les Black Eye Peas, la mondialisation m'est apparue comme une évidence. La même musique, partout dans le monde, à la marge bien sur des styles locaux et des gloires nationales. C'est assez fou de voir comment Manu Chao, avec la Mano Negra, est chantonné partout en Amérique Latine, en Europe, et ailleurs probablement. En se produisant partout sur le continent (et certainement pas que dans les grandes capitales et par les circuits formels), par la circulation de CD gravés dans les quartiers populaires et les bidonvilles africains, graçe au bouche à oreille, et par la langue aussi (ils chantent en Espagnol, en Français, en Anglais...) ce groupe a été un des premiers à devenir un groupe "mondial". Aujourd'hui, le phénomène touche une grande quantité d'"artistes", souvent Anglophones, mais il se propage via des canaux différents. L'industrie musicale crée un produit conçu pour le marché mondial. Le charme "de la Mano" est loin, mais la magie, elle, reste toujours là. La mondialisation culturelle unifie le monde, c'est certain. Mais la diversité n'en mourra certainement pas pour autant. Le "village mondial" que certains ont prédit est loin. Et c'est tant mieux pour le monde, justement.

Jeudi, j'ai trouvé un nouvel endroit pour vivre. Un appartement, en plein centre ville. On y entre par un hall accueillant des commerces, un hall très chic, ou le soleil traverse des vitraux haut perchés. On y monte par un ascenseur, un vieil ascenseur en bois, en faisant glisser une porte en métal noir dépliante. Comme dans les films. L'intérieur de l'appart est bien plus modeste. La salle de bain est vieillotte, et la cuisine assez minable. Mais la terrasse est inondée de soleil. On se croirait à Barcelone, au milieu des immeubles en béton jaunâtre, noyés dans une véritable marée de fils électriques. La propriétaire, Cécilia, 33 ans, termine sa thèse de cinéma, et enseigne la littérature au lycée. L'autre habitant, Fernando, la quarantaine passée, travaille pour le gouvernement (fédéral, ou celui de Mendoza?). Il est vraisemblablement chargé des relations avec la presse. Il y a plein de bouquins, un chat noir, et pas mal de tranquillité. Moi, j'habite dans une chambre située sur la terrasse. C'est très lumineux. Normal, le mur n'est qu'une vaste baie vitrée. On y entend le vacarme de la ville. Une vrai serre. En été, je vivrai dans un four... Sauf si ma collègue de Lille, Pauline, préfère s'installer en haut, et me laisser la chambre du bas. Pour le moment, elle attend son petit ami qui lui rend visite cette semaine et pour une bonne vingtaine de jours. En bas, c'est plus intime. On y entre par une porte indépendante.
Vendredi, nous avons visité la fac. Bloc de béton au pied des Andes. Le cadre est magnifique. Reste qu'elle se situe à quelques mètres d'un quartier très pauvre. Un Bidonville d'ici. Pas de route, mais de la terre, et des chiens errant qui dorment un peu partout. A Mendoza, impossible de les louper. Ils errent dans les rues à toutes heures, et rappellent aux passants des quartiers chics que la pauvreté n'est jamais loin. Mendoza reste une ville huppée, touristique. Les bars y sont branchés, et je ne compte plus les cliniques privées... Le tourisme et la santé font bon ménage. On vient se faire refaire les seins, et puis après, on va skier sur les hauteurs des Andes. C'est bien moins cher qu'en Europe ou qu'aux États-Unis et puis ça fait vivre une ville. Mais autour d'elle, là ou les touristes se font rares, le luxe de Mendoza est loin. Un après midi, nous sommes allés nous promener en groupe dans le gigantesque parc de la ville, El parque San Martin. Les Argentins étaient de sortie, et aussi ceux qu'on ne voit pas dans les rues du centre ville. Leurs habits sont plus modestes, plus vieux, et souvent couverts de poussière. Les habitants de toute l'agglomération sont venus passer un dimanche au soleil d'Aout (à comprendre de Décembre), à boire le Maté en famille en laissant les enfants se faire des passes avec un Ballon, trifouiller l'eau dégueulasse du lac avec leurs mains, ou jouer avec de vielles bouteilles vides trouvées par terre; les remplir d'eau verdâtre, et les relancer dans la flotte.

La faculté de sciences politiques (nous en étions là) est sombre et triste. Une rénovation s'impose. France, Argentine, même combat: l'argent pour l'enseignement supérieur manque. A Mendoza, la UN Cuyo est une université publique. Aconcagua, Congreso, Champagnat... la majorité reste privé.

Le soir, nous mangeons avec nos colocataires. La discussion s'engage vite. On parle Football. Les Argentins en sont fous. Depuis que je suis ici, dès que je rencontre quelqu'un et que je dis que je suis Français, il me demande dans quelle ville j'habite et à quelle équipe cela correspond (ils connaissent toutes les équipes Françaises!). Le football, en voilà une autre chose universelle! Rapidement, la discussion devient politique. La question de l'identité Argentine est posée. Cécilia n'y croit pas. Pays de diversité historique, l'Argentine n'a, pour elle, aucune identité propre. On ne reconnait pas un Argentin d'un européen, alors qu'un Chilien est par exemple bien plus typé. L'argentine, c'est un peu un pays ou l'Europe c'est mélangée, diluée, pour au final former une nation nouvelle. Moi, pourtant, j'ai l'impression que de nombreux Argentins sont fiers de leur pays. Les drapeaux du pays flottent partout, et même les vendeurs dans les magasins en ont un, cousu sur leur chemise de travail! On me dit que c'est parce que l'on fête cette année le bicentenaire de l'indépendance. C'est vrai que l'État semble tout faire pour promouvoir cette fierté. Ainsi, le slogan de la banque nationale donne quelque chose comme: "Fier d'être de la nation". Cela dit, on le comprend l'État! De Buenos Aires à la Terre de Feu, il faut bien consolider ce territoire immense, en faire une entité lisible. Fernando, lui, défend bec et ongle son pays. Le Maté, le Dulce de Leche (sorte de caramel que les Argentins mettent un peu partout), ce n'est pas typiquement Argentin ça? Assez nationaliste, il regrette Peron, et se dit passionné de populisme. C'est surprenant, mais il me semble que de nombreux Argentins recherchent toujours le meneur charismatique. Plus tard, dans un resto, une Argentine désireuse de s'engager dans le débat politique me confit être Peronniste. Je demande alors quel gouvernement elle souhaiterait pour son pays, ce à quoi elle répond, sans gène, "un gouvernement s'inspirant du Fascisme à l'Italienne". Je suis étonné. Je me dit que le terme de fascisme n'est sans doute pas entendu en Argentine de la même manière qu'en Europe. En réalité, peut être que les années Peron, Videla... restent vives dans la culture politique Argentine. On y admire les figures d'autorité, et De Gaulle notamment. S'en est suivi une soirée dans un Bar, ou nous avons dansé toute la nuit... Avec beaucoup de Français (même si j'ai gouté, avec un ami Argentin, le Fernet, alcool Italien adoré de tous les Mendocinos)! Oui, Mendoza est bourrée de Français. Partout. Des étudiants d'IEP, d'écoles de commerce, de fac de langue et j'en passe. C'est aussi le cas à Valparaiso, m'a confié un ami qui y étudie également. Impossible de les éviter. Ils (nous) sommes partout. Dans toutes les colocs, dans toutes les universités... Je parle très peu Castillan en vérité. C'est de toute manière une chose courante dans les années "Erasmus". On se retrouve, on sort ensemble. C'est naturel. En fait, le communautarisme s'installe inconsciemment. Mais l'université ne commence que demain, alors, je me dis que c'est normal. Je me dis que c'est là bas que je rencontrerai vraiment des étudiants Argentins. Je me dis que c'est là bas que je parlerai (on y travaille beaucoup en groupe) plus. Je me dis que se mélanger prend du temps, plusieurs mois. Je me dis que les vacances d'été (ou d'hiver, comme vous voulez) sont encore loin. Je me dis de laisser passer les semaines. Je me dis de me laisser le temps de me couler doucement dans le moule de Mendoza. Je me dis que j'ai tout mon temps devant moi.

Je me dis que tout ne fait que commencer.