mercredi 15 juin 2011

Quinzième entrée, du 3 au 15 Juin.

L'hiver, sans même avoir la correction de prévenir, nous est tombé dessus. Des placards, nous avons sortis nos pulls et nos manteaux. Certains, sans doute plus prévoyant, portent leurs écharpes et bonnets. Le ciel, cristallin, ne réchauffe la peau qu'en journée, nous offrant le luxe de pouvoirs se promener dans la ville sans veste sur le dos. A moins d'un mois du départ, il souffle sur ces dernières semaines l'odeur trouble du au revoir, et surement davantage de l'adieu. Il nous faudra partir. La ville nous oubliera vite. Nous ne sommes que des points de suspension. Ainsi va le monde. Avant de rentrer, j'ai devant moi la perspective de deux beaux voyages: Le nord du pays et le nord du Chili, et ensuite, en Aout, l'Équateur. Je relaterai cela dans une dernière entrée, en septembre ou en octobre.

Je regagnerai la France nostalgique. Mais sans regret puisque l'année à venir passera tout aussi vite. Elle portera son petit lot de tristesses, et la dérisoire consolation de quelques moments forts qui, dit-on, valent la peine d'être vécus. Ainsi va le monde. D'ici là il me reste des examens, des discussions, les promesses des « on se reverra » auxquelles personne ne croit. On connait la suite. On doit étudier, avoir nos diplômes. Après, nous irons tous travailler. Nous nous lèverons tous tôt le matin, la tête bien ancrée dans le cul, les yeux couverts de fatigue. Dans le métro, on se promettra de se coucher plus tôt la nuit, et comme chaque soir, on se s'endormira au moins aussi tard que la veille. Nous aurons tous des vacances différées, et nous ne pourrons plus nous retrouver ensemble. Chacun sa solitude. Il faut bien vivre. « Et puis, c'est tout de même mieux que de travailler à la chaîne ». Le travail, étymologiquement, c'est torturer. Quel bobo faut-il être pour tenir ce petit discours! Quel petit bourgeois suis-je pour dire ça? Ne pas travailler, c'est un luxe! Et avoir connu la paresse, ou même la concevoir, c'est une occasion dont bien peu peuvent jouir. Soit. Tant mieux pour moi. Je ne suis pas responsable de ma chance, c'est vrai. Je ne l'ai pas plus mérité qu'un autre. Je suis ce que la vie me donne, par le fruit arbitraire du hasard. Le mien, jusqu'ici, se révèle délicieusement sucré.

Alors que la Grèce ne se relève pas, que l'Europe peine à relever le défi, que l'Allemagne risque de refuser de payer pour tous, je rejoindrai un continent qui doit faire face à la faillite d'une idée qui nous a tous animé plusieurs décennies durant. CCC, trois lettres qui nous assomment. Et si le Portugal, l'Espagne venaient à tomber? Qui pourrait les aider à se relever? Combien de générations assumeront les pots cassés, la faillite des systèmes d'éducations, des systèmes de santés? La Grèce paye les frais de décennies de triche. Payer les impôts ne fait plaisir à personne, mais c'est la seule façon d'assurer la solidarité nationale, européenne, et la stabilité des services et des biens publics. Le paradoxe ultime, incorrect et injuste, c'est que, peut être, quelque part, la Grèce paye aussi une certaine différence culturelle. Non pas que les Grecques travaillent moins que d'autres, mais le peuple grecque ne voulait peut être pas d'un modèle de développement qui dévorait le temps de vivre, seulement pour assurer la richesse nationale. Peut être pensaient-ils que travailler pour travailler n'avait pas de sens. Alors ils ont menti. Un trou béant a été caché. Il n'a pas pu être rebouché. La réalité est là, froide, insensible: Ainsi va le monde. L'Etat providence à dans sa chute remis en cause les 35 heures. Les chômeurs sont devenus des profiteurs, les fonctionnaires des glandeurs planqués. Cette crise Grecque n'est pas tant économique, c'est une crise de civilisation. Peut être serait-il enfin temps de redonner du sens au travail. Peut être enfin devrait t-on faire de la vie professionnelle une sphère d'épanouissement. Salariés sous anti-déprésseurs, suicides pour « motifs professionnels »... L'homme n'est pas une machine. Il a besoin de parler, d'avoir une vie sociale hors de l'entreprise. Nous ne reviendrons jamais dans la forêt, vivre de chasses et de cueillettes, parce que ce temps n'a jamais existé autre part que dans l'imagination de quelques philosophes, et dans quelques petites communautés primitives autarciques et au nombre de membre limité. Le travail est la nature de l'homme, jusqu'à ce que le travail détruise la nature de l'homme.

Ce qui me surprend ici, c'est le goût qu'ont les argentins pour la discussion, pour le débat. Ils adorent parler, et prennent de nombreuses heures à ça. Les Français me semblent plus silencieux, plus introvertis. C'est un fait de culture et d'éducation. Parler n'est pas une activité rapide, et pour parler, il faut en avoir le temps. Alors allons-y, travaillons, puisqu'il le faut. Mais pas jusqu'au point de ne plus communiquer.


Un jour de 1996, je ne vais pas à l'école. Aucun enfant Français n'ira à l'école ce jour. Je ne sais pas trop pourquoi. Le lendemain, notre maitresse, avec son carré noir austère nous explique pourquoi. Un de nos anciens Présidents est mort. Ah bon. Mitterrand nous a quitté. Je me souviens encore des Guignols de ce soir là. Une édition courte, un seul faux reportage, et puis c'est tout. Façon pour la parodie de PPDA de célébrer le départ du seul socialiste qui aura conquis la législature suprême de notre vielle cinquième république. On y voyait le Président de lever, fantôme, mort vivant, de son lit de mort et terroriser le personnel de l'hôpital. « Enfin, je peux faire chier le monde! » disait-il.

Au moins, à cette époque, c'était simple, pour moi, petit enfant encore à l'école primaire. Et puis comme tout les autres de ma génération, j'ai suivi les débuts chaotiques de mon siècle. Le choc d'un Le Pen au second tour, j'étais en sixième. Je me souviendrai toujours de son portrait sur France 2, apparu à la place de finaliste. Mon père avait crié « Oh putain! ». Nous qui ne connaissions rien à la politique avons pourtant été profondément choqués. Sur les tables de la cantine de notre collège, le lendemain, nous avions eu ce que je crois être ma première discussion de futurs citoyens. Nous comprenions déjà le sens de ce résultat. L'extrême dévorait la belle poitrine de Marianne. Puis le 11 septembre, la minute de silence nationale que le proviseur avait tenu face à nous tous, dans la cour de récréation. J'étais en cinquième. Le blocus du CPE en première. La fronde contre la réforme Pécresse trois ans plus tard. J'ai grandi dans cette marmite de contestation que je comprenais plus ou moins. Dans nos sangs coulait cette révolte silencieuse. Cette révolte que nous ne comprenions pas, mais qui nous exaltait. Nous redécouvrions le mythe de 68, et rêvions nous aussi, d'entrer dans l'histoire par la grande porte. Je me souviens de ma fébrilité adolescente, je me souviens marcher dans les couloirs de mon lycée, avec mes jeans larges, et croyant avec une touchante naïveté connaître l'histoire, et ainsi pouvoir la juger. Une jeunesse Française durant laquelle, malgré ses approximations, je me suis construis. Sans doute n'avais-je que très partiellement raison de tendre le bras, mais je n'avais pas totalement tord. Plus tard est apparu le spectre du chômage, la violence du marché du travail.

Et puis, en foulant ces terres Andines, j'ai écouté une histoire différente. La recherche d'une identité, d'une nation. Cette année fut incroyable, comme si d'un seul coup, l'histoire avait décidé d'accélérer le pas sans crier gare. On virait les Roms. On niait l'esprit de Schengen. Le monde en crise se cherche, les émergents ont peut être bien émergés. Au Japon, le progrès nous crachait à la gueule. Strauss_Kahn, fierté de la France, venait se fracasser dans une sombre histoire pendant que les Français feignaient de croire à un complot. Et Lagarde, en train de gesticuler pour maintenir le FMI aux Européens, vielle coutume d'un age passé. Les États-Unis hésitant, entre l'envie de redorer leurs blasons auprès des BRICS, mais sachant pertinemment que remettre en cause la suprématie européenne sur le FMI reviendra, tôt ou tard, à remettre en cause celle des USA sur la Banque Mondiale. Tout est allé si vite, que personne ne peut plus rien expliquer. Entre une pensée de gauche qui se cherche toujours; torturée entre le désir illusoire de pureté idéologique et le compromis contradictoire d'une sociale démocratie si étrangère à la culture Française; et une droite cherchant par les moyens les plus désespérés et moralement des plus abjectes et critiquables de se maintenir au pouvoir, la France continue à avancer en boitant. Nous aurons la peau de ce président, de sa vision haïssable de notre pays, que nous vomissons depuis quatre trop longues années.
L'humanité pense en permanence sa destruction imminente. Il y a une seule chose sur laquelle Freud ne s'est pas trompé, c'est bien ça. Du XIème siècle et la panique européenne de la fin du monde, au XVI iéme et à la peur de l'abandon de Dieu, aucun cataclysme n'est venu étouffer notre civilisation. Toujours l'homme s'en est sorti, au prix de transformations sociales et politiques immenses. Au XVI ième siècle, ce fut la réforme, la négation de l'autorité papale par de nombreuses villes européennes protestant conte l'ordre venu de Rome de livrer les hérétiques (d'où le terme de « protestantisme »). Et puis en 1962, la peur nucléaire.

Quel Calvin, quel Luther, quel Zwingli viendront changer le monde? Par quelles violences? Quelles nouvelles certitudes pour renverser celles portées par l'ONU? Qui peut encore croire en la théorie ridicule de la « Fin de l'Histoire » de ce pauvre Fukuyama? L'histoire n'a pas de fin, pas de but. Que Marx aille se rhabiller. La guerre froide avait un sombre mérite, celle de simplifier la donne. On avait raison ou tord, d'un coté ou l'autre. On ventait une utopie pour masquer le pragmatisme des puissances. L'homme redoute une seule chose, parce qu'elle le met brutalement face au vide d'un monde sans évidence, c'est l'absence de sens. Nous avons besoin d'une raison d'être, et si elle n'existe pas, alors il faut l'inventer. Peut-être est-ce pour cela, aussi, que l'homme reste longtemps silencieux devant les dictatures. Parce que le mensonge de l'idéal, de l'homme nouveau, de l'homme parfait, dessine un but. Certains le suivent malgré la babarie.
Nous avons tué Dieu, parait-il. Et maintenant, nous voilà seul devant ce vide infini. Dieu, ce mensonge, donnait au moins une raison de vivre, et surtout de mourir. L'exaltation de la liberté est une belle chose, mais l'excès de liberté est terrible, parce que la liberté totale, et parfois totalitaire, ne peut que résonner dans un vide angoissant. Il nous faudra donc construire un ordre nouveau dans lequel nous trouverons un objectif commun. Cet objectif reposera sur une rhétorique convaincante et une idéologie construite selon un rapport de force particulier. Dans l'absolu, cet objectif sera faux, imaginé, fabriqué. Il ne pourra en être autrement, puisque l'évidence est à l'évidence une construction sociale, historiquement faite pour paraître aller de soit. Ce sera donc, comme toujours, une certaine dictature de la pensée, plus ou moins violente. Et ceux qui voudront la détruire ne le feront que pour en bâtir une autre. C'est peut être, qui sait, un moindre mal.

Les Andes nous regardent d'un œil moqueur.