samedi 27 novembre 2010

Douzième entrée. Du 2 au 27 Novembre.







Je suis assis sur ma chaise, le regard sur l'écran. Le soleil se couche, mais une mèche de cheveux est toujours collée sur mon front. Putain, il fait chaud aujourd'hui. Derrière moi, un tas de feuilles, de bouteilles en plastiques vides, de chaussettes puantes et de bouquins. Sur mon bureau, des paquets de biscuits éventrés, des assiettes sales... Ma chambre est un champ de bataille, recouvert des cadavres de ces derniers mois. Le premier acte touche à sa fin, les examens sont terminés, et petit à petit, ceux qui sont venus pour étudier un semestre s'en vont. Ceux qui restent préparent les petits voyages à venir, cherchent encore des stages, mais tous font leurs valises. Bientôt, il faudra chercher un nouvel appartement. Personne ne va continuer à payer une location inhabitée durant 3 mois!
Ce sera l'occasion de changer de style de vie, aussi. Il flotte donc dans l'air le parfum bien connu des au revoir.
Demain, je pars pour Salta, au nord de l'Argentine. Ensuite, je traverserai la frontière Bolivienne pour continuer à longer les Andes jusqu'à La Paz, avant de voir le fameux Titicaca, pour enfin gagner Lima. D'ici, la découverte du Machu Pichu, et le reste, selon l'humeur. Bien sur, je n'aurai pas le loisir de vous raconter tout ceci en direct. Mon accès à internet sera limité. Nous nous retrouverons en Janvier, pendant mon stage. Je commencerai à rédiger les petites aventures de ce voyage. Je pense aussi aller une vingtaine de jours en Patagonie, en Mars, avant d'entamer mon second semestre, c'est-à-dire le premier (souvenez vous que l'année est inversée). La Bolivie et le Pérou, c'est une autre Amérique latine. Lors d'un repas, organisé par notre propriétaire pour fêter notre départ, j'ai eu l'occasion d'en parler avec Fernando, que je n'avais pas vu depuis deux mois. Il parlait avec une lueur dans les yeux de cette Amérique, abyssale, mystérieuse, ou les indiens mangent des cactus aux propriétés hallucinogènes (San Pedro, Peyotte), ou encore de l'Ayahuasca, herbe très psycho-active qu'il semble bien connaître (les produits psychotropes sont un de ses sujets de prédilection, après les femmes). Mes ces herbes font effectivement parties intégrantes de la culture amérindienne, permettant la matérialisation d'un lien entre les hommes et les dieux. Sans parler de la coca, bien sur, feuilles que Morales n'hésite pas à mâcher en pleine conférence de presse, pour marquer sa volonté de défendre la culture bolivienne.
Me voici donc un peu dans les cartons, et satisfait aussi de ces mois passés. Les liens avec les Argentins ne sont pas toujours aisés à tisser, mais la richesse du pays demeure incroyable. Revenir de soirée dans la douceur de la nuit, être réveillé par la chaleur de ma petite chambre à 10 heures tout les matins, traverser la verdure de la place de l'indépendance pour aller à l'université, manger quelques asados en bonne compagnie. Un quotidien agréable, qui s'étend jusqu'à la terrasse ensoleillée de ce qui sera bientôt mon ancienne colocation. La belle vie, pour le dire vite et bien.
Ces derniers jours, j'ai eu l'occasion d'aller à Cacheuta, une minuscule ville dans la montagne ou on trouve des thermes en plein air. Au milieu des enfants gesticulants et des vieillards trainant leur bedaine, le soleil s'est fait un plaisir de me transformer en un énorme homard. Bien rouge. Enfin presque. Trop idiot pour savoir bien répartir la crème, j'ai aussi fait de mon corps, pour quelques jours, une œuvre avant-gardiste. « Le rouge et le blanc, tâches et dégradés », Benjamin CHEVALIER, Novembre 2010. On a voulu m'exposer, mais j'ai refusé, je reste modeste.

Il y a deux semaines, aussi, a soufflé un vent bien particulier ici. Un vent chaud, très chaud, couvrant la ville d'un épais nuage de sable. Une expérience impressionnante. Le thermomètre pointait à 48 degrés, on ne voyait plus au-delà de 100 mètres. L'air marron, les arbres pliés, les poubelles au vent, et le sable dans les yeux. Une véritable apocalypse, comme me l'a glissé Mathias, notre nouveau colocataire Argentin, qui étudie aussi le cinéma. Le sable se glissait sous ma porte, recouvrant le clavier de l'ordinateur d'une fine couche de poussière. Une vraie tempête de sable, comme dans les films...
Et j'ai enfin mon visa! Après le parcours du combattant, mille allers-retours et taxes en tout genre, je suis un étudiant en situation régulière. Pour le faire, il faut traîner plusieurs jours à la « Migracion », en rapportant toujours de nouveaux documents des plus inutiles. Certains l'appellent la Migracion des Boliviens. On comprend pourquoi. Présents dès l'ouverture, ils restent là, assis dans la salle d'attente. Certains sont en poncho, un bébé sur le dos. Matérialisation d'une vérité qui m'avait été dite, mais que je n'avais jamais constaté, celle de la migration bolivienne, des centaines de personnes venues trouver un emploi. Leur situation économique reste précaire, comme celle des enfants qui, venus des quartiers pauvres, ne cessent de venir demander de la monnaie, le visage sale et les vêtements gris, dès que l'on s'assoit à une terrasse pour prendre un verre. La richesse et la pauvreté dans un étrange état de proximité lointaine.
Comme je vous l'ai déjà montré, l'Argentine est souvent très mal classée par les indices de corruption. La corruption est, paraît-il, très présente. Mais la démocratie Argentine est pourtant dynamique. Chaque semaine, une manifestation passe dans ma rue. Et quand je dis manifestation… Non pas qu'elles ne réunissent systématiquement une fabuleuse quantité de citoyens, non, mais ce qui est sur, c'est qu'on les entend! Tambours, danses, vêtements de toutes les couleurs (combien de regrette mon appareil photo!)... Une bombe sonore et colorée explosant au cœur de la ville... pour bien souvent me tirer de force du sommeil (quelle idée de manifester le matin...).
La mobilisation semble « facile » à organiser. Fréquemment, des militants plantent des tentes sur la rue piétonne et clament leurs revendications. La population a la parole. Il n'y a d'ailleurs souvent que très peu de policiers pour encadrer et surveiller l'animation. Cette vigueur du dialogue et du débat est remarquable. Actuellement, les deux grands combats sont la légalisation de l'avortement et la lutte contre l'ouverture, à Uspallata, d'une mine à ciel ouvert, apparemment nocive pour l'environnement et les populations locales.
Le temps me manque pour écrire l'article que je désirais. J'aurais aimé vous parler un peu plus du Fernet, l'alcool national qui se boit avec du coca-cola, des cafards qui avec la chaleur viennent ramper entre nos pieds, des soirées à regarder allongé les étoiles sous la douceur de la nuit... Mais j'aurais surtout aimé vous parler de tout ces gens qui partent, ayant terminé le semestre. Quelques petites lignes, histoire de montrer à quel point ces liens temporaires par fatalité sont d'une importance cruciale, première, donnant à ces quelques mois une force remarquable. Comme toujours, au final, la richesse la plus importante est humaine. Les plus beaux paysages se gravent dans la mémoire, mais il n'y a que le souvenir des visages qui peut faire tomber les larmes.(wwhhhaaa!). Désolé pour cette phrase convenue et quelques peut pompeuse, mais je ne pouvais pas continuer à écrire plus à propos des voyages sans parler aussi de l'amitié. Nan mais!

Petits mots donc pour ces gens qui me manqueront, et qui font ce que cette expérience est ce qu'elle est.

Mais comme toujours, dans la précipitation du départ, je ne peux pas faire plus.

Nous nous retrouverons en Janvier.

Plus haut, quelques photos de Cacheuta, qui ne sont toujours pas de moi, et d'une de ces « soirées cinéma étranger » dont je vous parlais dans une entrée précédente.